C’est la question qui brûle les lèvres dans les campagnes, alors que les gaz lacrymogènes se dissipent à peine en Ariège et dans le Doubs. Pour y répondre, il faut dépasser la simple caricature d'un ministère aux ordres pour plonger dans les mécanismes de la "cogestion" à la française, une machine bien huilée qui semble aujourd'hui se gripper face à la réalité biologique de la Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC).


Une communauté de destin économique
À première vue, la réponse est oui, ou du moins, les feuilles de route sont jumelles. Lorsque le ministère de l'Agriculture ordonne l'abattage total d'un troupeau pour un seul cas détecté — même vacciné — il applique une doctrine sanitaire stricte visant à préserver le statut "indemne" de la France le plus longtemps possible. Or, qui a le plus à perdre de la perte de ce statut? Les filières exportatrices (broutards vers l'Italie, génétique, lait), dont les intérêts sont historiquement défendus par le syndicat majoritaire, la FNSEA.

Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, l'a rappelé sans ambages : la réticence initiale à la vaccination massive et le soutien au "stamping out" (abattage total) étaient motivés par la peur de "l'effondrement des exportations et des prix". L'administration, obsédée par la balance commerciale, et le syndicat majoritaire, gardien du modèle exportateur, partagent ici un même logiciel : l'économie prime sur la clinique.
La cogestion à l'épreuve du terrain
Cependant, parler d'obéissance aveugle serait inexact. Il s'agit plutôt d'une validation mutuelle. Lors des réunions du CNOPSAV (le conseil d'orientation de la politique sanitaire), les décisions sont "actées" conjointement. Quand la Coordination Rurale et la Confédération Paysanne hurlent au scandale sanitaire et bloquent les camions d'équarrissage en Ariège, la FNSEA, elle, salue la "responsabilité" de l'État et appuie la stratégie d'abattage comme un mal nécessaire pour sauver la filière.

Là où le bât blesse, et où l'administration semble effectivement sous influence, c'est dans son refus d'adapter sa doctrine aux réalités scientifiques que d'autres pays ont déjà acceptées. La Suisse, Israël ou les Balkans ont prouvé que l'abattage total est inefficace contre une maladie vectorielle (transmise par des insectes) une fois qu'elle est installée. En s'obstinant dans l'abattage, notamment des animaux vaccinés (comme ce fut le cas dans le Doubs), l'État français ne répond plus à une logique vétérinaire pure, mais à une logique politique et commerciale défendue par la rue de la Baume (siège de la FNSEA).

Une rupture consommée?
La fracture est désormais béante. D'un côté, une administration et un syndicat majoritaire qui tentent de maintenir une digue réglementaire (la zone indemne) qui prend l'eau de toute part. De l'autre, des éleveurs de terrain, soutenus par les syndicats opposants (CR et Confédération Paysanne), qui voient leurs bêtes saines partir à l'abattoir au nom d'une stratégie qu'ils jugent obsolète.

En conclusion, l'administration n'obéit pas à la FNSEA comme un soldat à son général, mais elle agit en symbiose avec elle. Elles sont enfermées ensemble dans un "bunker" doctrinal : celui de l'export à tout prix. Le problème, c'est que le virus, lui, porté par les vents et les insectes, ne négocie ni avec les ministres, ni avec les syndicats. Et pendant que Paris et la FNSEA s'accordent sur les virgules des arrêtés préfectoraux, ce sont les éleveurs qui comptent leurs vaches mortes, sacrifiées sur l'autel d'une "compréhension" administrative qui semble avoir perdu le sens du vivant.


