Finir ou ne pas finir ? Telle est la question qui, croyez-moi, a brisé plus de carrières mondaines qu'une faute d'orthographe dans un livret de messe.

Dans le commun des mortels – cette zone floue qu'on appelle "la vraie vie" – une assiette vide est un signe de satisfaction. C'est le compliment du chef, la validation de la grand-mère, la preuve qu'on a bien mangé. Mais nous ne sommes pas ici pour parler des gens qui ont faim, mes chéris. Nous sommes ici pour parler des gens qui ont des principes.
Le 7ème arrondissement : la « politesse du reliquat »
Chez les vieilles familles, celles qui ont des particules et des chiens qui coûtent plus cher que votre voiture, finir son assiette est un acte d'une vulgarité crasse.
Pourquoi ? C'est très simple. Nettoyer son assiette jusqu'à la dernière goutte de sauce (et je ne parle même pas de l'usage barbare du morceau de pain pour "saucer", passible de la peine de mort sociale), cela envoie un message terrible à la maîtresse de maison : « Vous ne m'avez pas assez nourri. »
Ou pire : « Je suis un glouton incapable de réfréner mes pulsions animales. »
Dans ces cercles, il est impératif, je dis bien impératif, de laisser ce que j'appelle le « Tribut de la satiété ». C'est une petite bouchée, orpheline et froide, laissée sur le bord. Un bout de haricot vert, une demi-pomme de terre duchesse. Ce petit reste dit au monde : « Voyez, l'abondance était telle que je ne puis avaler une bouchée de plus. Je suis au-dessus du besoin nutritionnel. Je suis pur esprit. »
C'est du gaspillage ? Non, c'est de la distinction. C'est le luxe ultime de pouvoir jeter.

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Le 11ème arrondissement et la Start-up Nation : Le « tribunal du compost »
Changeons de décor. Nous voilà chez les bobos consciencieux ou chez les start-upers en "full remote". Ici, laisser de la nourriture dans son assiette n'est pas distingué, c'est criminel.
Si vous laissez un reste de quinoa chez des amis écolos-responsables, vous ne signalez pas votre satiété. Vous signalez que vous détestez la planète. Chaque grain de riz laissé à l'abandon est perçu comme une attaque personnelle contre le climat, les agriculteurs du Larzac et le bilan carbone de la soirée.
Ici, l'injonction est inversée mais la pression est la même.
- Chez la Baronne, on laisse pour montrer qu'on est riche.
- Chez l'Influenceur éthique, on finit pour montrer qu'on est "aware".
C'est là que le piège se referme. Car si vous ne finissez pas, vous allez subir la question qui tue, posée avec un sourire inquiet : « Tu n'as pas aimé ? C'était peut-être trop cuit ? C'est le lait de coco qui ne passe pas ? » Ou pire, la proposition humiliante : « Tu veux un doggy bag ? On a des Tupperwares en verre consignés. » Repartir d'un dîner mondain avec ses restes de curry dans un bocal, c'est l'équivalent moderne de la marche de la honte.
La troisième voie : l'excuse médicale (le joker des temps modernes)
Alors, comment naviguer entre le snobisme du gaspillage et la dictature du zéro déchet ? La seule solution élégante, mes chéris, c'est le mensonge pathologique.
Si vous ne pouvez pas finir chez les modernes, ne dites pas "je n'ai plus faim". Dites : « C'est délicieux, mais mon naturopathe m'interdit les excès de solanacées après 21h. » L'argument santé/bien-être écrase tout. Il est la carte maîtresse. Même Gabriel Attal respecterait ça. On ne discute pas avec le "capital santé" de quelqu'un.
En résumé :
- Rive Droite (Chic) : laissez-en un peu, pour prouver que vous n'êtes pas un affamé.
- Rive Droite (Bobo) / Rive Gauche : finissez tout, pour prouver que vous n'êtes pas un pollueur.
- Partout ailleurs : mangez si vous avez faim, et laissez-nous tranquilles.
Sur ce, je vous laisse, je n'ai pas fini mon macaron, et c'est très bien comme ça.
