La dérive sénile de l’acteur fou – par Alexandre N.

La dérive sénile de l’acteur fou – par Alexandre N.

Les lecteurs du Courriers des Stratèges connaissent déjà Alexandre N. avec qui nous avions menée un entretien sur "la stratégie du fort au fou" à propos de l'affrontement indirect entre la Russie et les Etats-Unis en Ukraine. Aujourd'hui, nous continuons avec cet ancien acteur des services de renseignement français notre exploration sur un thème trop peu traité, celui de la folie des décideurs  dans les relations entre les Etats. L'enseignement de l'histoire tel qu'il est pratiqué nous amène à poser d'emblée la rationalité des dirigeants. Et si c'était une erreur. Alexandre N. a livré au Courrier des Stratèges son sentiment sur la crise déclenchée à Taïwan par Nancy Pelosi.

L’acteur fou des relations internationales

On définira ici « l’acteur fou » comme étant un animal de la scène géopolitique manifestement doué de déraison stratégique.

Moyennant quoi, il relève de l’évidence que les États-Unis actuels incarnent pleinement cet acteur fou, et de surcroît dangereux si on veut bien prendre en compte cette espèce de guerre à perpétuité qu’ils semble avoir déclaré au reste du monde. L’ex-plus grande puissance mondiale a en effet basculé dans ce que les grecs anciens nommait « l’Hubris », mais que l’analyse clinique définit plutôt comme de la « folie ».

Les fondamentaux d’une telle bascule remontent à loin ( fin du XIX° siècle ) mais les symptômes visibles en sont récents : déchaînement de violence en 2001-2003 après un attentat sur le sol américain dont les origines sont peu claires , achat de l’opposition irakienne armée pour en faire Daesh & Co en 2007, et plus près de nous « l’étrange » élection de 2020.

 

La folie d’une octogénaire

Or il se trouve que le dernier avatar de cette folie vient d’apparaître sous la forme d’une octogénaire apparemment décidée à provoquer la Chine, même au prix d’une guerre, dans sa volonté manifeste et sans raison valable de se rendre à Taïwan nonobstant l’opposition ferme de celle-ci.

Pour mieux apprécier la situation, il convient de situer le personnage ainsi que le contexte qui lui fait agir ainsi.

Officiellement, cette octogénaire est le N° 3 du régime US ( présidente du Congrès ), ce qui ne la rend pas légitime pour autant à provoquer toute guerre, la responsabilité en incombant au POTUS ( President Of The United Staes comme on appelle familièrement le président américain ) en accord avec le Congrès.

Or outre une sénilité, une corruption et une incompétence notoirement connues comme partagées,  ces N°1 et 3  ont le douteux privilège d’incarner jusqu’à la caricature le sinistre kabuki qu’est devenue la démocratie américaine.

Comme il est reconnu même aux États Unis, « quelque chose de bien plus grand que POTUS a de facto un droit de veto sur toutes les questions liées à la sécurité nationale. En pratique, le pouvoir exercé par l’homme le plus puissant du monde s’avère des plus limité …  Qu’on l’appelle le Blob, le Deep State, le complexe militaro-industriel-congressionnel …,  c’est lui qui exerce de facto ce droit de veto », mais bien plus encore qui oriente résolument la stratégie américaine.

Par commodité de compréhension, on l’appellera ici État-profond.

 

L’Etat profond agit Mme Pelosi

Peu importe qui il est et comment il est car tel n’est pas le sujet ici. Mais il en ressort bien que Biden comme Pelosi, comme l’essentiel d’ailleurs de ceux qui occupent les postes des centres de pouvoir et d’influence aux États Unis,  ne seraient pas en poste sans cette espèce de mafia qui les tient et qui ainsi des États Unis le véritable son cheval de Troie de ses propres projets. Pour parachever la description du système,  il faut ajouter à cela les liens d’une vassalité imposant ce même système  à l’ensemble des nations occidentales ainsi qu’aux organisations internationales.

On constate bien avec la guerre en Ukraine comment agit alors un tel dispositif, c’est à dire comme une meute de proxys agressifs, dressés précisément cette guerre à perpétuité tout en en occultant le véritable commanditaire. 

Pelosi n’agit en rien de son propre chef mais simplement sous impulsion de l’État profond.

On constate alors que la folie de l’acteur fou procède donc entièrement du degré d’emprise de son État profond sur lui.

 

L’Etat profond américain acte son échec face à la Russie

Une première question – bien qu’anecdotique – se pose alors : pourquoi Pelosi plutôt que Biden ? Simplement parce que le spectacle de la décomposition sénile de celui-ci, de plus en plus évidente même dans le parti démocrate, ne pouvait qu’être contre-productive dans le cas présent. 

Plus sérieusement, pourquoi provoquer la Chine et précisément en ce moment ? La réponse qui va de soi est que l’affaire est forcément liée à l’Ukraine, et que l’État profond y acte implicitement son propre échec face à la Russie. Or comme le savent ceux qui observent les US, il est dans leur pathologie de réagir à leur propres échecs en refaisant toujours « la même chose ». quoi de mieux en effet de faire oublier une guerre à l’opinion US par une autre? Ça peut paraître simpliste mais ça n’est … qu’américain !

 

Un troskisme systématisé

L’étape suivante de cette analyse passe nécessairement par une caractérisation plus avancée de l’État profond lui-même. En tant que club d’ultra-riches d’abord, il est plus arrogant que réellement apte à diriger les affaires internationales, ce pourquoi entre autres il lui faut des « petites mains » pour ce faire. Sa propre stratégie n’est qu’elle-même une sorte de trotskisme systématisé, maniant  terrorisme intellectuel et physique. Quand à sa réflexion en matière sur les affaires du monde en général, elle n’est que le produit des billevesées courtisanes que lui servent une multitude de think tanks qu’il finance.

Autant dire alors que dans la confrontation qui se profile, c’est bien la Chine qui, profitant du principe de réalité, y détient également l’initiative, résultat on ne peut plus logique quand on agit par l’intermédiaire d’un acteur fou. 

 

Le Pentagone prend peur devant les conséquences de la folie en cours

On notera aussi que le Pentagone – qui pourtant fait partie de l’État profond – a vivement déconseillé cette aventure pélosienne. La raison évidente est qu’il n’est plus en capacité d’affronter directement un nouvelle adversaire coriace, surtout si c’est la Chine, et en rappelant tout de même  qu’il perd toutes ses guerres depuis 1945 si on excepte la Grenade qui n’avait même pas d’armée.

Ceci amène donc au constat que, sinon sur les fins, au moins sur les moyens l’État profond n’est pas homogène, et notamment dans le cas présent s’agissant d’une possible guerre contre la Chine. Cette affaire pourrait donc masquer le fait d’obliger le Pentagone à faire ce qu’il ne veut absolument pas faire et que de toute façon il ne pourra pas faire. C’est donc aussi – et peut-être surtout – une affaire américano-américaine d’abord.

Le point suivant est alors de savoir si l’État profond est capable d’anticiper vraiment les réactions de la Chine ? La réponse est résolument non, compte tenu d’une part de sa psychologie propre, mais d’autre part et surtout de l’état actuel lamentable du renseignement stratégique américain. On ne peut pas servir aveuglément et être en même temps talentueux, ce qui participe d’ailleurs directement de la folie de l’acteur.

La seule explication qu’il reste est alors qu’il pourrait s’agir pour lui d’une fuite en avant pour échapper à ses erreurs. Si l’Ukraine en constitue déjà une, c’est plus sûrement de l’imminence de la dédollarisation qui est en cause, et par conséquent de la perte probable de son propre pouvoir de contrôle de la monnaie mondiale. 

 

L’Etat profond et la dette américaine

Pour le comprendre, il faut remonter l’histoire. l’État profond est un phénomène qui  n’a rien de nouveau.  Il apparaît en même temps que la civilisation, l’État et surtout que le concept de  monnaie et surtout de son avatar la dette. L’État profond commence quand d’aucuns apprennent à  manipuler l’un et l’autre. Par conséquent, partout où il y a État il y a aussi État profond, à des stade de développement simplement divers.

Ceci est d’ailleurs confirmé par le travail fondamental de Michael Hudson ( Destiny of civilization ),  lequel contrebat enfin une histoire académique chargé d’interdire l’histoire de la monnaie qui est aussi celle du pouvoir réel.

Le problème crucial de l’État profond en tant que communauté de personnes physiques, est donc de ne pas disparaître  avec les crises qu’elles provoquent ni avec les civilisation qu’elles contribuent largement à faire disparaître. Or l’État profond américain est bien confronté à ce type de perspective en tant que bénéficiaire ultime et de plus en plus exclusif d’un capitalisme financier devenu dément, notamment en obligeant à déconnecter la monnaie de la ressource physique et en particulier de l’or, a rebours de 6000 ans d’expérience.

Un autre enseignement de son histoire est que l’État profond semble parfaitement ignorer le principe d’action- réaction. Ce pourquoi d’ailleurs, arrivé au faîte de son pouvoir il ne pense plus qu’à établir son propre « ordre mondial » et dont le monde actuel est en train de vivre les sinistres prémices.

C’est pourquoi aussi, lorsqu’il échoue ou se sent menacer, il recourt alors systématiquement à la guerre la plus ample possible comme solution de « big reset », autrement dit pour réinitialiser son pouvoir.

La guerre de 14 – 18 n’a pas d’autre sens que celui-ci pour les prébendiers de l’empire anglais la provoque, celle de 39-45 la poursuivant avec, en plus, la participation de l’État profond américain mais lui même en phase ascentionnelle. On rappelle que les accords de Bretton Woods instaurent le dollar comme monnaie de référence mondiale au détriment de la livre sterling et contre le bancor de Keynes.

La guerre à perpétuité n’a donc d’autre sens que de perpétuer l’empire US comme cheval de Troie de son État profond. Une guerre avec la Chine aurait cependant des effets pour le Pentagone – donc la puissance militaire sensée protéger le dollar -, désastreux aussi pour l’Ukraine de Zelenski qui y perdrait beaucoup d’appuis, mais surtout catastrophique pour l’Europe dont l’économie dépend complètement de la Chine et ce dont elle n’a nullement besoin en ce moment face à la Russie.

 

Une guerre de Reset?

Néanmoins, cette provocation avec la Chine s’inscrit bien dans une montée des tension organisée par Washington ( Kosovo, Ukraine, Taïwan … ), ce qui pourrait indiquer une ferme intention de l’État profond d’obtenir une guerre de reset, fussent d’ailleurs au détriment des intérêts vitaux de la nation qui l’a crée et des autres que celle-ci vassalise.

Pourquoi une telle indifférence de sa part ? Simplement par ce que c’est dans la nature qu’on lui connaît et surtout parce qu’il se croit lui-même l’abri de toute guerre – exactement comme le fit en son temps l’État profond français, à savoir les 70 000 nouveaux propriétaires terriens issus de la vente des bien nationaux  lorsqu’ils provoquèrent Waterloo pour  se débarrasser de Napoléon, une marionnette mise en place par eux mais qui désormais leur échappait. Dans ce cas nous aurions bien affaire à une tentative – peut-être désespérée de déclencher une guerre de réinitialisation. Auquel cas, cela signifierait bien que la dédollarisation en cours va bien plus vite qu’on ne le croit. 

En tout état de cause, en cherchant à créer l’irréversible par l’intermédiaire de personnages aussi caricaturaux que sont les N° 1 et 3 américains, l’acteur fou ne fait que remettre en marche les mêmes mécanismes qui ont conduit à 1914 et 1939.