Jean Castex cherche-t-il à nous protéger ou à justifier son emploi ?

Jean Castex cherche-t-il à nous protéger ou à justifier son emploi ?

L’annonce hier, par Jean Castex, d’un nouveau confinement est présentée par l’intéressé (et reçue par de nombreux Français) comme la volonté de protéger la population contre les maladies. C’est la nature même du gouvernement que de se présenter comme le sauveur face aux menaces et aux risques. Mais à quelle réalité effective cette posture correspond-elle ? Nous avons la conviction que le thème de la protection est un prétexte pour justifier l’intervention de l’Etat et la levée de l’impôt qui nourrit une abondante bureaucratie, sans impact réel sur la santé des Français.

Notre Premier Ministre Jean Castex s’est livré hier à un exercice étrange qui a suscité une certaine perplexité chez un grand nombre de spectateurs. Les règles qu’il a énoncées en matière de confinement sont si complexes et contradictoires, que beaucoup (dont l’auteur de ces lignes) se sont demandés ce que ce confinement territorialisé changeait vraiment par rapport à la situation actuelle, si ce n’est que nos pauvres petits commerçants vont à nouveau devoir fermer boutique (ce qui n’est pas, j’en conviens, un changement mineur).

Bref, on nous protège en imposant des règles dont le sens n’est pas vraiment clair, et qui semblent s’éloigner de l’objectif fondamental : protéger.

Ce flou, cette ambiguïté, cette incertitude sur le sens des décisions, ont un mérite : ils mettent en évidence l’hypocrisie qui est celle de l’Etat et du gouvernement lorsqu’ils brident les libertés au nom de la protection. Et c’est ce flou que nous nous proposons de presser aujourd’hui comme un citron pour en extraire le jus.

L’Etat invoque toujours la protection pour se justifier

Depuis les expériences traumatisantes du siècle dernier en matière d’Etat totalitaire, rares sont les pays où l’Etat affiche clairement sa volonté de dominer et de contrôler la population par simple goût du pouvoir (parfois rebaptisé dictature du prolétariat). Même en Chine, la surveillance totalitaire se justifie par le besoin de développer économiquement le pays, d’enrichir les citoyens, et non par la simple cupidité des dirigeants du Parti Communiste.

C’est la mode totalitaire contemporaine que de justifier la violation des libertés publiques par le besoin de protéger la population, et que de marteler une propagande quotidienne sur le « besoin de protection des Français » que seul l’Etat serait à même de remplir. Personnellement, je ne croise jamais personne qui me dise : « j’ai besoin d’être protégé par l’Etat ». Des gens qui me disent : « j’ai besoin d’être protégé par mon père, ma mère, mon mari, ma femme », j’en connais. Mais des gens qui appellent de leurs voeux l’érection d’une bureaucratie paperassière pour se sentir en sécurité, je n’en ai jamais vu, même si les medias mainstream soutiennent qu’ils courent les rues.

En revanche, je connais de nombreux Français qui aimeraient que la police les protège contre les délinquants, ce qu’elle ne fait que très peu. C’est le sujet de l’Etat régalien, qui est laissé en plan par tous les étatistes. Il est assez curieux d’entendre par exemple les militants et élus de la France Insoumise prétendre que les Français veulent une protection par l’Etat dans tous les domaines de la vie quotidienne, sauf celui de la sécurité des biens et des personnes (qui est pourtant le seul sujet où les Français demandent une protection). Mais il est vrai que l’électorat de ce parti n’a majoritairement pas intérêt à voir un ordre sécure régner, et se nourrit volontiers du désordre ordinaire appelé « mouvement social ».

Bref, une chose est sûre : tous les Etats occidentaux justifient leur intervention au nom de la protection, mot magique qui autorise de revenir sur tous les acquis libéraux des dernières décennies, à commencer par le droit à la vie privée. Et il est un fait que cette protection s’entend de façon très variable et parfois totalement à l’orthogonale par rapport aux besoins réels des citoyens.

Peut-on croire l’Etat lorsqu’il prétend nous protéger ?

La question qui se pose est évidemment très simple : lorsque l’Etat viole nos libertés au nom de la protection qu’il prétend nous assurer, son invocation de la « protection » est-elle sincère, ou n’est-elle qu’un prétexte pour justifier un abus de pouvoir et une transgression des limites habituellement posées dans les démocraties libérales ?

L’examen du discours tenu hier par Jean Castex n’est pas, de ce point de vue, sans poser des questions majeures sur le fond de sa sincérité. Ainsi, le Premier Ministre a-t-il répété que le confinement en Ile-de-France, un an jour pour jour ou presque après sa première instauration, visait à nous « protéger », mais le contenu des annonces soulève tout de même de sérieuses questions sur l’intentionnalité réelle de la protection.

Pour être carré, on aurait pu penser que le confinement annoncé ce jeudi soir fût fondé sur une logique rationnelle accessible au Français ordinaire : on limite les contacts sociaux pour limiter la circulation du virus. Mais la décision gouvernementale est d’une nature différente : officiellement, pour protéger les Français de la contamination, le gouvernement « confine » les habitants de certaines régions, mais avec une série d’exonérations qui vident le confinement de son sens. Ainsi, les gens en question continueront à travailler (mais avec un objectif de quatre jours sur cinq en télétravail et un jour en présentiel), et pourront sortir en dehors du couvre-feu (retardé à 19 heures au lieu de 18) autant de temps qu’ils voudront, à condition que ce soit à moins de 10 kilomètres de leur domicile, et munis d’une attestation.

Dans le même temps, les écoles resteront ouvertes et la pratique sportive des jeunes facilitée. Cette somme de possibilités laisse pendante la question de la restriction réelle de ce confinement par rapport à la situation actuelle : le confinement de quatre semaines à venir induit-il ou non que les contacts sociaux, qui sont autant de risques de se contaminer, seront réduits ou non ?

La réponse ne coule vraiment pas de source, et pose tout entière la question de la vraie intention du confinement : s’agit-il de protéger ou d’occuper l’espace de la communication politique en faisant croire que l’on agit, mais en ayant le minimum d’impact sur la réalité ?

Les contraintes politiques qui pèsent sur le gouvernement

Il serait évidemment très naïf de croire que le gouvernement peut choisir librement et sans contrainte la conduite à tenir durant cette pandémie. Une multitude de facteurs intervient pour limiter les choix. Nous relèverons trois types de limitations politiques.

La première est sanitaire : le gouvernement ne peut totalement s’émanciper des propositions émises par les scientifiques, les épidémiologistes et autres noms en « istes » dont la science raffole. Beaucoup sont des « enfermistes », c’est-à-dire des partisans par principe de la réduction de l’humain à une bulle individuelle où il n’a aucune possibilité d’entamer des interactions directes avec d’autres humains. Dans cette vision du monde, la dynamique de la contagion est cassée par principe, puisqu’il n’y a plus de contacts entre les individus.

Le deuxième limitation est naturelle : par sa propre nature, l’homme a (majoritairement) besoin de contacts avec d’autres membres de son espèce. L’en priver le conduit à une mort à petit feu. C’est une contradiction essentielle au principe de la bulle individuelle dont rêvent les scientifiques. Et cette pulsion qui nous pousse à parler à chaque jour à d’autres humains plutôt qu’à rester chez nous, dans notre solitude, est une clé essentielle pour comprendre la stratégie du gouvernement sur le confinement. Isoler les gens, certes, mais pas au point de les pousser à un incontrôlable désespoir…

Une troisième limitation est liée au caractère moutonnier des humains : si l’Allemagne et l’Italie confinent leur population, la France aura tendance à les imiter. Et plus le monde est « ouvert », plus chaque pays a tendance à copier sur son voisin. C’est pour cette raison que la décision de ne pas confiner un pays dont tous les voisins sont confinés est beaucoup plus difficile à prendre que la décision, dans ce cas, de confiner. Même si le confinement est désagréable.

Ces quelques éléments expliquent que, dans une situation donnée, un Premier Ministre comme Jean Castex n’est pas totalement libre d’agir comme il l’entend. Les principes de réalité s’appliquent.

La protection, une valeur friable et incertaine

Tous ces éléments mixés dans la grande soupe de la réalité font que le discours de la protection tenu par un Premier Ministre, quel qu’il soit, est largement pipeauté. Je vous protège, mais d’abord je fais comme mes voisins et je ne veux pas que vous vous révoltiez. D’où les décisions entendues hier : on sort librement durant le jour, à condition d’avoir une affectation. On reste chez soi, mais on continue à fréquenter l’école et à pratiquer les sports de groupe. On se coupe des autres, mais on a le droit de se rendre sur son lieu de travail.

On pourrait empiler sans fin les contradictions de ce genre, qui montrent l’embarras du gouvernement à mener une politique claire et compréhensible de protection.

Officiellement, les Français veulent être protégés par l’Etat, mais en réalité, les exceptions à ce principe sont si nombreuses qu’on comprend rapidement que les Français veulent tout sauf être protégés. Ils préfèrent, au-delà des discours officiels dont la subtilité prouve l’absence d’évidence, assumer leur propre risque tout seuls. Ils veulent choisir d’être contaminés ou non, d’en assumer le risque ou non.

Tous ne sont pas desperados. Certains le sont plus que d’autres. Mais tous veulent pouvoir fixer eux-mêmes la jauge de leur propre prise de risque. Jean Castex l’a très bien compris : c’est pourquoi il fait mine d’imposer des règles, en les vidant de leur contenu, pour être sûr qu’elles froissent le moins de gens possibles.

Jean Castex veut-il protéger ou exister ?

D’une certaine façon, la mission d’un Jean Castex se réalise sur le fil du rasoir. Il ne doit pas trop contrarier la volonté souterraine des Français d’être libres face à leur risque. Mais il doit justifier publiquement son emploi de Premier Ministre en donnant l’illusion d’avoir prise sur la réalité par des décisions comminatoires. D’où une série de décisions d’une ambiguïté extrême décrites plus haut.

En cette matière, tout est dans l’équilibre subtil entre centralisation des décisions et déconcentration des pouvoirs réels. J’édicte une règle pour mieux laisser l’impétrant la transgresser par des tempéraments locaux. Ce principe de bon sens qui ménage l’apparence (je dirige) et la réalité (ils décident) conduit à cette politique de gribouille où les règles sont suivies de tant d’exceptions qu’au fond, plus personne ne sait ce qu’il faut faire, et que chacun ne fait plus que ce qu’il veut. Et chacun, du Premier Ministre jusqu’au simple citoyen, excipe de son bon droit à faire ce qu’il a décidé de faire, en rejetant sur l’autre la faute de n’avoir pas respecté les règles prescrites.

On ne peut mieux décrire l’anarchie qui découle de ces moments si particuliers où l’Etat invoque la protection pour étendre son pouvoir sans raison valable : il en est réduit à « communiquer », à afficher des principes, sans aucune emprise sur la réalité.

Dans la pratique, les Français n’ont pas envie de la protection de l’Etat. Ils comptaient sur lui pour apporter des masques, des tests, des vaccins dans les temps où tout cela était utile. Mais une pléthorique bureaucratie sanitaire s’est révélée incapable de répondre à ces attentes. Ne reste plus qu’une série d’interdits quotidiens qui heurtent de front l’appétit français pour la sociabilité : on veut des apéros aux terrasses, des barbecues entre amis, des soirées cinéma ou théâtre, des dîners qui n’en finissent plus de digestifs en digestifs. On ne veut pas d’une vie de bonnet de nuit où les contacts entre humains sont interdits ou placés sous haute surveillance, parce que l’Etat s’est révélé incapable de faire autrement.

Face à ces refus français, le Premier Ministre « fait avec ». Il fait semblant de prendre des décisions, mais il les vide de leur contenu pour laisser les Français se protéger entre eux, sans l’intervention de l’Etat, avec des masques et des gestes barrières qui se font sans que le pouvoir réglementaire n’ait besoin d’être là.

Combien de temps la comédie du pouvoir durera-t-elle ?

Au fond, une simple question se pose : la comédie que joue Jean Castex, celle d’un homme qui aurait le pouvoir de décider, alors qu’il a simplement le pouvoir de constater une réalité sur laquelle il a peu de prise, combien de temps pourra-t-elle durer ? Combien de temps les Français accepteront-ils  de financer une comédie qui se joue sur le dos, qui autorise le prélèvement d’un impôt exorbitant au nom d’une protection qui n’existe pas ?

Cette question est à la base de toutes les révolutions.