Italie 1978 : le Mossad derrière l'assassinat d'un Premier ministre ?

Une enquête du journaliste Eric Salerno révèle les liens entre le Mossad et les réseaux politiques italiens pendant la Guerre froide, et soulève la question d’une influence israélienne dans l’assassinat d’Aldo Moro, artisan d’une Italie plus indépendante de Washington. Soixante ans après les faits, il est temps que l’histoire complète de l’assassinat de Moro soit écrite – et comprise.

L'assassinat en 1978 du Premier ministre italien Aldo Moro par les Brigades rouges reste une énigme. L'enquête du journaliste Eric Salerno, dans son ouvrage Mossad Base Italy (janvier 2010), révèle une alliance secrète entre l'appareil sécuritaire italien et le Mossad. Selon le journaliste d’investigation Eric Salerno, les services secrets israéliens surveillaient et manipulaient les groupes extrémistes italiens. L’enquête d’Eric Salerno éclaire un pan occulté de la Guerre froide : celui où les États-nations européens, pris entre la CIA et le Mossad, ont vu leur politique étrangère dictée par des intérêts extérieurs.

Un meurtre politique sous surveillance étrangère

En Italie, le 16 mars 1978, Aldo Moro, figure centrale de la Démocratie chrétienne, est enlevé par les Brigades rouges. L’opération laisse derrière elle cinq gardes du corps abattus. Deux mois plus tard, le corps sans vie du Premier ministre est retrouvé dans le coffre d’une voiture. Officiellement, il s’agit d’un acte de terrorisme d’extrême gauche. Mais depuis près d’un demi-siècle, les zones d’ombre persistent.

Pour Eric Salerno, ancien correspondant de guerre et proche des sphères politiques italiennes, la vérité dépasse largement le simple cadre du terrorisme. Dans son livre Mossad Base Italy (2010), il documente les liens étroits entre les services secrets israéliens et les appareils sécuritaires italiens, révélant que le Mossad aurait « été en contact depuis le début » avec les groupes impliqués dans le meurtre de Moro.

Selon lui, Moro incarnait un risque de basculement géopolitique à un moment où la Guerre froide divisait l’Europe. Moins connu du grand public, le « Lodo Moro » désigne un accord tacite entre l’Italie et des groupes palestiniens, négocié via la Libye de Kadhafi.

En échange d’une immunité contre les attentats, l’Italie autorisait le transit d’armes et de combattants. Cette politique d’apaisement, bien que risquée, visait à préserver une forme d’autonomie face aux pressions américaines et israéliennes.

L'ombre du Mossad sur l'affaire Moro

C'est dans ce contexte que Salerno soulève des questions sur l'assassinat de Moro. L'enlèvement par les Brigades rouges (BR), décrit comme « audacieuse et extrêmement professionnelle », a depuis longtemps nourri l'hypothèse de manipulations externes. Le journaliste documente que le Mossad a « surveillé et secrètement influencé » la faction communiste violente des BR.

Salerno, tout en évitant d'accuser directement le Mossad d'avoir ordonné l'enlèvement, avance une hypothèse lourde de sens : le renseignement israélien aurait pu adopter une position attentiste, prêt à « aider d’une manière ou d’une autre » si l'événement (l'enlèvement et l'exécution) servait ses objectifs.

Après la mort de Moro, l’Italie s’est progressivement alignée sur les positions de Washington et Tel-Aviv. Salerno décrit un pays transformé en « porte-avions américano-israélien », surveillant la Méditerranée et participant activement aux opérations clandestines de l’OTAN.

Le journaliste établit un parallèle entre l’affaire Moro et les opérations secrètes du réseau Gladio, où des cellules paramilitaires liées à la CIA et au MI6 menaient des attentats sous faux drapeau pour discréditer la gauche.

Si l'assassinat de Moro est rapproché de cette stratégie, l'analyse de Salerno positionne le Mossad comme un acteur potentiellement facilitateur, dont les intérêts (neutraliser l'alignement pro-palestinien de Moro et empêcher la montée de la gauche) coïncidaient parfaitement avec l'issue tragique de l'affaire.

Salerno montre que la coopération entre les services italiens et israéliens remonte avant la création d’Israël, avec le soutien de milices sionistes par des figures issues du régime mussolinien. Cette alliance s’est perpétuée après-guerre, nourrie par un sentiment de culpabilité collective envers les Juifs. Les services italiens sont décrits comme « parmi les plus amicaux » envers le Mossad, au point d’exécuter des missions « ultra-secrètes » pour son compte.