L'affaire SOS Donbass révèle la tension entre sécurité nationale et libertés fondamentales. Sous couvert de lutte contre l'espionnage, l'État étend son contrôle sur la société civile et les engagements politiques individuels.

Le Parisien, Aujourd’hui en France et la lettre spécialisée sur les renseignements Intelligence Online ont rapporté l’interpellation d’une Russe nommée Anna N. et d’un militant français pro-russe Vincent P par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Ils sont soupçonnés d’être des espions du Kremlin. Selon le parquet de Paris, les deux individus ont été placés en détention provisoire.
Une enquête spectaculaire qui tombe à point nommé
Le 17 novembre dernier, Anna N et Vincent P. ont été interpellés par les agents de la DGSI d’après les informations du Parisien, Aujourd’hui Paris et Intelligence Online. Cette interpellation intervient dans le cadre d’une enquête lancée par le parquet de Paris, qui les accuse d’« intelligence avec une puissance étrangère » et d’« association de malfaiteurs ». Des termes lourds, destinés à frapper l’opinion.
Les deux individus sont soupçonnés d’être des agents recrutés par les services secrets russes accusés d’agir sous couvert d’activités humanitaires en France.
Anna N, une ressortissante russe de 40 ans qui vit dans le Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques, depuis plusieurs années, est la fondatrice de l’association SOS Donbass. L’ONG a comme objectif d'"informer les gens de manière factuelle sur la situation au Donbass et de leur montrer la voie pour apporter leur soutien". Il s’agit d’un endroit stratégique très disputé par la Russie et l’Ukraine.

Mariée à un Français depuis 2010, Anna N est la vice-présidente de l’association. Elle a déjà eu des embrouilles avec les services de renseignement français en février 2024. La ressortissante russe a été en effet accusée d’avoir commis des infractions au profit de la Russie. La présidence de l’ONG est assurée par un corse, Vincent P.
Les services de la DGSI auraient surveillé discrètement cette association et les activités de ces deux individus pendant des mois.

Selon la DGSI, Anna N et Vincent P auraient été approchés par les membres d’un service de renseignement russe au cours des voyages qu’ils ont effectués au nom de l’association dans la région de Donbass.
Une association transformée en menace : une logique de surveillance
Mais au fond que reproche-t-on réellement au duo Anna N. – Vincent P. ?D’avoir fondé une association caritative liée au Donbass, voyagé en zone de conflit et exprimé une sympathie pour Moscou. De là à les qualifier « d’espions », c'est un bien grand mot.
A ce jour, la procédure s'appuie encore sur des soupçons, pas sur des faits établis. La détention provisoire, déjà prononcée, ressemble davantage à un message politique qu’à une nécessité judiciaire.
Un autre membre de l’association SOS Donbass, le ressortissant ukrainien Vyacheslav P, qui vit en région parisienne est aussi suspecté d’avoir mené des actions militantes russes dans l’Hexagone.
En septembre 2025, ce dernier a été reconnu par des caméras de surveillance en train de coller des affiches pro-russes sur l'Arc de Triomphe avec pour inscription « Français, souviens-toi de ce que le soldat russe a fait pour toi ». Vyacheslav P a déclaré qu'il voulait rappeler que le rôle de la Russie a été décisif dans la victoire des Alliés en Europe au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Son collage d'affiches sur l'Arc de Triomphe devient "dégradation en relation avec une puissance étrangère". Son avocat dénonce un "délit d'expression". L'État transforme un acte militant en crime sécuritaire.
SOS Donbass est décrite comme une façade d’espionnage. C’est possible, mais rien ne le démontre pour l’instant. La méthode rappelle une tendance inquiétante : qualifier d’ingérence toute voix dissonante sur la guerre en Ukraine.

La détention provisoire, arme de dissuasion politique
Les trois suspects connaissent la détention provisoire. Une mesure exceptionnelle devenue banale dans les affaires d'espionnage. Elle permet de maintenir une pression constante sur les accusés, avant même leur jugement.
L'avocat de Vyacheslav P. s'indigne de qualifications "farfelues" justifiant l'incarcération. Son client échappe aux poursuites pour espionnage mais reste emprisonné.
En élargissant le périmètre de l'espionnage à l'activité associative et à la simple propagande, on crée un climat de peur et de surveillance généralisée. Tout individu ayant des contacts non officiels avec un pays "ennemi" devient potentiellement suspect.
C'est le début de la police des opinions, où la défense de la Nation justifie la suspension des libertés fondamentales. Les citoyens doivent exiger que la preuve l'emporte sur le soupçon et que la raison d'État ne soit pas un chèque en blanc pour la répression.
La réponse sécuritaire à la menace russe pourrait bien nous faire basculer dans un État où toute dissidence devient suspecte. La défense de la Nation ne doit jamais devenir un prétexte pour museler la critique, dissoudre les associations non-alignées, et criminaliser la liberté d'expression politique. L'État doit prouver une menace réelle et non instrumentaliser la peur pour restreindre nos libertés.


