Alors que l'exécutif s'est longtemps félicité d'avoir « protégé » les Français face à la hausse des prix, le dernier rapport de la Cour des comptes, publié ce 1er décembre 2025, vient doucher l'enthousiasme gouvernemental. L'institution de la rue Cambon dresse un bilan sans appel de la gestion de l'épisode inflationniste 2022-2023 : une « surréaction » budgétaire coûteuse, non ciblée, qui a réussi l'exploit de creuser le déficit là où l'inflation aurait dû mécaniquement l'améliorer.

C'est une anomalie française que soulignent les magistrats financiers. En théorie économique, et comme l'ont montré les chocs passés, l'inflation est censée améliorer temporairement les soldes publics : les recettes fiscales (TVA en tête) gonflent plus vite que les dépenses. Mais la France a fait mentir la théorie.
Selon la Cour, la politique menée a abouti à un résultat inverse : le déficit public s'est dégradé de 38 milliards d'euros en 2022 et de 47 milliards supplémentaires en 2023 par rapport à la tendance normale. Sans les choix discrétionnaires du gouvernement, l'inflation et la hausse des taux auraient dû, au contraire, améliorer le solde public de 0,1 point de PIB en 2022 et de 0,2 point en 2023.

La gabegie du « quoi qu'il en coûte » énergétique
Comment en est-on arrivé là ? La Cour pointe du doigt une « progression massive et rapide des dépenses » résultant de mesures « insuffisamment ciblées ».
L'État a ouvert les vannes en grand. Les dépenses primaires (hors charge de la dette) ont explosé de 88,8 milliards d’euros sur deux ans du fait de l'inflation et des réponses politiques apportées. Le rapport dénonce explicitement le « subventionnement massif » et indifférencié des prix de l'énergie (boucliers tarifaires, remises carburant pour tous).
Contrairement au consensus économique qui recommande de cibler les aides sur les ménages les plus précaires, le gouvernement a arrosé large. Résultat : pour les ménages les plus aisés (le dernier décile), la facture énergétique a été subventionnée à hauteur de 650 €, contre 490 € pour les plus modestes. Une politique de gribouille qui a coûté une fortune aux contribuables sans efficacité sociale réelle.

L'État s'est ruiné, la Sécu a encaissé
Le rapport met en lumière un transfert de charge spectaculaire. C'est l'État (et les administrations centrales) qui a porté à bout de bras cette générosité mal placée, voyant son solde se dégrader de près de 45 milliards d'euros en 2023.
À l'inverse, les administrations de sécurité sociale (ASSO) ont profité de l'aubaine. Grâce à la dynamique des salaires (et donc des cotisations) et au décalage dans le temps de la revalorisation des prestations, la Sécu a vu son solde s'améliorer de 17,5 milliards d'euros sur la période. Une embellie en trompe-l'œil, prévient la Cour, car le rattrapage des indexations en 2024 va rapidement effacer ces gains.
L'illusion de la baisse de la dette
L'exécutif pourrait être tenté de brandir la baisse du ratio dette/PIB pour se défendre. Là encore, la Cour des comptes démonte l'argumentaire. Certes, le ratio a baissé grâce à la croissance du PIB en valeur (l'effet dénominateur). Mais en valeur absolue, la dette publique a explosé : +126,9 milliards en 2022 et +146,9 milliards en 2023.
Pire, la Cour estime que si le gouvernement avait ciblé ses aides au lieu de les distribuer à l'aveugle, la dette publique aurait pu être inférieure de plus de 5 points de PIB en 2023 par rapport au niveau constaté.

Le bonnet d'âne européen
Enfin, le rapport tord le cou à l'idée que la France n'aurait fait que suivre le mouvement européen. Si le montant des aides est comparable à celui de nos voisins, la France se distingue par deux tares majeures :
- Une situation de départ des finances publiques bien plus dégradée que les autres.
- Un maintien des perfusions budgétaires bien trop long. Alors que l'Italie ou le Royaume-Uni réduisaient la voilure dès 2023, la France a conservé un niveau de soutien élevé alors même que l'inflation refluait.
En résumé, la stratégie française face à l'inflation aura été celle de la facilité politique payée au prix fort : une dette accrue et un déficit creusé, dont la charge, alourdie par la remontée des taux d'intérêt, pèsera durablement sur les générations futures.
