Face à tous les dogmatismes: le plaidoyer de Michel Barnier pour un retour de l’Union Européenne au réalisme

"Mutualisations": un petit mot tout simple, qui fait la une des médias et qui donne des frissons à la Commission Européenne. Michel Barnier était invité du Grand Rendez-vous CNews/Europe 1 dimanche 17 octobre et il a pris acte des échecs, limites ou insuffisances du projet européen. Se définissant comme "patriote" et "européen", il a proposé de revenir à une vision plus réaliste de la construction européenne, fondée d'abord sur la capacité des Etats à pratiquer des "mutualisations efficaces". L'émotion suscitée par la vision pratique de l'Europe que développe le candidat à l'investiture du Congrès LR du 4 décembre en dit long sur la bulle dans laquelle a prospéré un certain fédéralisme européen, subissant la montée d'un "sentiment populaire" hostile dans plusieurs pays européens mais incapable d'y apporter une réponse.

« Si vous voulez un mot qui, pour moi, résume ou exprime ce que je pense du projet européen, c’est une mutualisation de nations », a affirmé sur CNews, Europe1 et Les Echos l’ancien négociateur de l’UE pour le Brexit. En fait, la notion de mutualisation des compétences des Etats sur des objectifs précis est la philosophie originelle du projet européen. Robert Schuman avait parlé, lors de l’annonce de la CECA, (Communauté Eiropéenne du Charbon et de l’Acier) le 9 mai 1950, de « réalisations concrètes pour créer des solidarités de fait ». Le Général de Gaulle avait accepté cette méthode à condition qu’elle fût fondée sur la primauté du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement et que la France y eût un droit de veto.
Depuis lors, bien de l’eau a coulé sous les ponts. mais il y a une différence énorme entre le pragmatisme, jeu d’équilibre entre la vision du Général de Gaulle et celle de Jean Monnet, qui caractérisait le dialogue entre le RPR et l’UDF dans les années 1980 puis, ensuite, dans une grande mesure, la politique européenne de Jacques Chirac et celle de Nicolas Sarkozy, d’une part, et, d’autre part, l’emballement fédéraliste européen dont est porteur Emmanuel Macron, à l’unisson d’une partie de la Commission européenne.
Evidemment, la vision de la construction européenne par les « mutualisations » comporte sa part d’ambiguïtés. Quelle référence prendre aujourd’hui? C’est sans aucun doute plutôt le pragmatisme pompidolien que les négociations inachevées d’un François Mitterrand qui ne força pas la création d’un gouvernement économique de la zone euro lorsqu’il négocia le traité de Maastricht avec Helmut Kohl. En tout cas, Michel Barnier est revenu, durant les vingt minutes de l’émission consacrées à l’Union Européenne sur l’avertissement que représente le Brexit pour l’ensemble des Etats membres. Et sur le risque de déclassement pour le continent, et en particulier pour la France: « il y a une table autour de laquelle va s’organiser l’ordre ou le désordre du monde dans les 30 ans qui viennent », où « sont assis les Américains, les Chinois, l’Inde, la Russie, le Brésil » mais le risque est que « nous allons être éliminés de cette table ».
Il ajoute: « D’ici 30 ou 40 ans, il n’y aura peut-être plus que l’Allemagne, et encore, et je n’ai pas envie que la France soit spectatrice des décisions prises par les autres », a-t-il mis en garde.
L’ancien négociateur en chef du Brexit va plus loin lorsqu’il prône un référendum sur l’immigration dans le cas où il est élu et la mise en place d’un « bouclier constitutionnel » qui permette à la France de reprendre en main la maîtrise de s flux migratoires et de peser dans une révision du fonctionnement de Schengen. La proposition a suscité une forte réprobation dans certains couloirs de la Commission européenne ou dans le microcosme politique et médiatique parisien. Certains commentateurs ont reproché à Michel Barnier d’être « souverainiste » à Paris et « européiste » à Bruxelles. En fait, cela en dit long sur l’incapacité de certains de nos dirigeants et influenceurs et, plus globalement, d’une partie de la haute fonction publique et de la classe politique européennes à concevoir l’Union comme un lieu de débat, où il y aurait des choix à faire et des « éléments d’alternative ».
Frexit, populisme, fédéralisme européen: trois formes de renoncement français
Si l’on résume l’actuel débat français sur l’Union Européenne, on repère trois courants:
- un courant « frexiteur » qui est à moins de 10% dans l’opinion et qui ne voit pas la différence essentielle entre la France et la Grande-Bretagne: nous sommes dans l’euro et, qui plus est, surendettés par Emmanuel Macron. Quand bien même on admire le Brexit, il est, de mon point de vue, peu responsable de faire croire qu’un pays qui ne maîtrise pas son budget est en mesure d’imposer une vision de son destin à ses partenaires européens.
- un courant populiste en matière d’Europe, incarné aussi bien par Marine Le Pen que par Eric Zemmour, qui cultive la rhétorique du « Frexit » tout en disant respecter le cadre européen. Les deux représentants actuels de la droite nationale ne rendent pas service à leur pays, en l’occurrence, dans la mesure où ils canalisent ce que Michel Barnier appelle un « sentiment populaire » de défiance vis-à-vis de l’Union Européenne mais pour le stériliser dans une gesticulation populiste.
- enfin on a la bonne conscience du fédéralisme européen actuellement à l’Elysée, qui poursuit l’objectif abstrait d’une « souveraineté européenne » sans se demander comment on y défend – à l’exemple de l’Allemagne ou d’autres de nos partenaires – nos intérêts nationaux en les mutualisant intelligemment (et de manière toujours réversible) avec les autres membres de l’Union Européenne.
Est-ce à dire que la vision d’un Michel Barnier soit devenue rare et la simple « butte témoin » d’une époque révolue? Pourtant, le risque est bien, pour l’UE, de se fracasser, broyée entre dissensions internes et défis externes; ou bien, comme le dit lucidement Bruno Alomar, de tomber dans l’insignifiance faute d’avoir su se réformer.
Il faut retrouver le sens des alternatives, en Europe. Mais il n’y a pas 36 méthodes, si l’on est sérieux. Il n’y en a même qu’une seule: retrouver le sens pratique de la construction européenne qui a toujours uni, au-delà des débats, gaullistes et démocrates-chrétiens. Leurs héritiers seront-ils capables d’entendre le cri d’alarme de Michel Barnier: « Je ne me suis pas engagé en politique pour que la France soit sous-traitante des Chinois et sous influence des Américains ».
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