Eric Verrax : Sofagate, un symbole de l’Union européenne ?

Eric Verrax : Sofagate, un symbole de l’Union européenne ?


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La cause est entendue : la Turquie est un pays animé d’intentions opaques sinon hégémoniques sur le monde arabe, s’oppose à l’Union européenne sur des sujets douaniers, migratoires, religieux et last but nos least, elle ne partage pas nos valeurs démocratiques : dernière occurrence, le retrait en janvier 2021 de la Convention européenne sur le droit des femmes. Nous sommes donc prévenus : nous n’avons pas les mêmes valeurs. Et nous ne sommes pas les bienvenus à Ankara.  Mais le "Sofagate" vient de démontrer de manière éclatante  que le problème de l'Europe avec la Turquie se trouve d'abord  à Bruxelles !

Eric Verrax

Auteur
Président du CECIM ( Centre Etudes de la Conjoncture immobilière)

La diplomatie consistant à ne pas parler uniquement à ses amis, l’Union européenne a dépêché ses deux plus hauts dignitaires, le chef du Conseil européen et la présidente de la Commission européenne, pour débloquer une situation tendue. Face à un adversaire redoutable, uni car unique, ayant pour lui une histoire multiséculaire et des ambitions manifestes, il faut tout faire pour apparaître plus fort et plus unis que ce que nous le sommes.

Tout le monde a vu les images du Sofagate, Ursula von der Leyen restant debout interloquée devant  le président Turc et son collège bruxellois. Beaucoup a été dit sur cet incident regrettable, dont Ankara rejette la faute sur Bruxelles…à juste titre semble-t-il.

En amont de la réunion, il n’apparaît pas que les services de Charles Michel qui ont organisé le protocole de la rencontre aient exigé ni même demandé une égalité de traitement. Erreur.

Alors que des dizaines de photographes crépitaient sans relâche pendant au moins une minute, il était loisible aux deux Européens de se rendre compte qu’il n’y avait que deux fauteuils et de se coordonner. Deuxième erreur.

Une fois la situation avérée, rien n’empêchait Charles Michel de ne pas s’asseoir, ou de se relever, en expliquant simplement les choses. Le président Turc n’aurait pas eu d’autre choix que de modifier son organisation. Troisième erreur.

Y-a-t-il des excuses atténuantes de culpabilité à apporter aux deux bruxellois ?

Je n’en vois aucune, bien au contraire : la présidente comme le président sont rompus aux jeux de la symbolique du protocole ; elle en tant qu’ancienne ministre des Armées, lui comme fils de ministre d’Etat belge et commissaire européen et lui-même, ancien ministre des Affaires étrangères belge.

Ils avaient le temps de voir venir puisqu’inactifs pendant la séance photo, assez longue, et n’ayant comme priorité que les conditions d’ouverture de la réunion qui allait commencer.

Tout cela, en gros, a été dit ou écrit. Mais on doit aller plus loin.

Nous prétendons à un choc de valeurs, dictature contre démocratie, droit de l’homme et de la femme contre obscurantisme. Mais ce sont les européens et eux seuls qui se sont comportés sans respect pour leurs valeurs affichées. Imagine-t-on la puissance des images si au lieu de ce spectacle pitoyable, elles avaient montré le président belge du Conseil européen restant debout ? ou se relevant ? le président turc se relevant ? faisant apporter un siège de plus ? Rarement une telle occasion se sera présentée, et nous n’avons pas su la saisir, au contraire.

Et au-delà : devant deux hommes qui, pour des raisons diverses, nient cette ancienne ministre des Armées et présidente de la Commission, qui peut croire à l’union de l’Europe ? qui a envie d’être défendu par une puissance aussi composite ? qui peut croire à l’avenir d’une telle dyarchie qui ne respecte pas même les valeurs qu’elle porte en étendard ? en effet, côté égalité des sexes, c’est perdu ; et côté puissance européenne, ce n’est pas gagné. Et Charles Michel qui confie a posteriori qu’il dort mal doit faire sourire bien des états-majors…

On entend ici et là parler d’un protocole européen qui donne la préséance au président du Conseil européen ; ce ne doit pas être si net puisque ce dernier s’en est pris vertement aux services turcs pour l’organisation ; et ce n’est pas clair non plus pour Madame von der Leyen qui n’aurait pas alors toussoté comme elle l’a fait.

Peut-on alors retenir une explication toute simple du comportement de Charles Michel ?

En psychanalyse, on dit que l’inconscient arrive toujours à ses fins. Peut-on alors retenir une explication toute simple du comportement de Charles Michel ? De toutes les personnalités qui attendaient le président du Conseil à Ankara, aucune ne lui était aussi proche qu’Ursula von der Leyen. Aucune n’était donc potentiellement en rivalité mimétique autant que sa collègue bruxelloise, si l’on adopte une lecture girardienne de l’incident. La seule à jouer « dans la même cour que lui », c’est elle. Là où sa véritable cible politique, c’est Erdogan, son souci personnel, ce serait de ne pas être minimisé par sa consœur ? Dès lors, a-t-il cédé à un mouvement si naturel : la coiffer sur le poteau pour obtenir le seul fauteuil disponible ? Pitoyable, certes, mais invraisemblable ?

De toutes les manières, la vraie question est celle de l’image qui devient symbole viral en quelques heures : quand on doit expliquer au monde entier quelle aurait dû être le bonne lecture, c’est qu’il y a erreur à la base.

L’hypothèse de la médiocrité de notre gouvernance européenne est incontournable. Charles Michel fait irrésistiblement penser à l’un de ces hommes dont Françoise Giroud disait qu’on les nommait de préférence là où l’on voulait qu’il n’y eût personne. Quant à Madame Von der Leyen… Comment imaginer qu’un Mitterrand, un Sarkozy, pour ne pas parler d’un Churchill ou d’un de Gaulle, se seraient simplement signalés par un : ehm… ?

Après cela, comment nier que le protocole est un sport de combat où les végan résistent mal aux carnivores ?


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