Emmanuel Macron peut-il encore changer de politique ? par Jean Goychman

Emmanuel Macron peut-il encore changer de politique ? par Jean Goychman


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La guerre en Ukraine sera-t-elle la guerre de trop pour les États-Unis ? Quelques indices montrent que le monde est en pleine évolution et que l’hégémonie américaine, incontestée depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et surtout depuis la disparition de l’Union Soviétique en 1991, est aujourd’hui remise en question. Cette position « dominante » résultait de la suprématie du dollar dans le commerce international, associée à la toute-puissance de l’armée américaine. Or, la conjonction des deux est indispensable pour continuer l’exercice de ce « leadership », et le dollar perd de son influence pour de multiples raisons. L’une d’elles est directement liée aux sanctions résultant du conflit ukrainien, et peut-être s’agit-il d’un « dégât collatéral » ?

En voulant interdire à la Russie l’utilisation du système « Swift », la finance mondialiste paraît s’être tirée une « balle dans le pied » car la riposte russe a été d’exiger le paiement en roubles des produits qu’elle vendait. Elle gagnait ainsi sur deux tableaux en renchérissant le rouble comme devise et affaiblissant le dollar comme monnaie internationale.

Ces sanctions ont également mis en évidence une ligne de partage du monde, certes préexistante depuis longtemps, devenue tangible. Elle fut révélée à l’ONU, par une abstention record des votes concernant les-dites sanctions, puis par l’importance des participants aux différentes réunions internationales (OCS et BRICS), montrant qu’une large majorité de la population mondiale était ainsi représentée.

Une situation confirmée par le président du CFR

Richard Haas, président du Council on Foreign Relations, dans une interview accordée à la chaîne Al-Jazeera, et relatée par le site Press TV a déclaré le 03 décembre que :

« L’Amérique aura désormais un rôle moins affirmé dans le nouvel ordre mondial »

Il explicite cette phrase par plusieurs constatations d’ordre différent. La situation internationale qui évolue en raison de la montée en puissance de certains pays :

« On a souvent pensé que les tensions entre les grandes puissances avaient pris fin avec la fin de la guerre froide, mais aujourd’hui l’Amérique se retrouve dans une situation où elle doit faire face à deux puissances hostiles, à savoir la Russie et la Chine, et à deux puissances régionales que sont l’Iran et la Corée du Nord. »

Mais il prend également en compte la situation politique interne de certains pays, y compris celle des Etats-Unis, résultant de la pandémie du Covid :

« En fait, il n’y a plus de consensus sur quoi que ce soit en Amérique. Les différences entre nous [les Américains] sont plus grandes que jamais. À mon avis, cette époque peut être définie comme la combinaison de deux défis mondiaux et géopolitiques auxquels l’Amérique est confrontée. Nous ne sommes pas comme les autres pays, nous avons joué un grand rôle dans le monde au cours des 75 dernières années, mais aujourd’hui, je ne suis pas sûr que nous soyons prêts à jouer un si grand rôle… »

Rappelons que ces propos sont tenus par le responsable du think tank le plus influent sur la politique étrangère américaine et qui est l’un des théoriciens le plus écouté. De plus, les arguments invoqués sont conformes à la réalité, telle qu’elle peut être perçue depuis plusieurs mois. Leurs conséquences risquent d’induire un bouleversement important au niveau des relations internationales. Richard Haas ne cache pas non plus sa crainte d’un retour à l’isolationnisme du peuple américain, lequel avait beaucoup retardé la montée en puissance des Etats-Unis sur le plan international.

Les dirigeants européens devraient tenir compte de cette situation nouvelle

Ce « suivisme absolu » de la politique américaine incarnée par l’OTAN est-il le meilleur moyen de préparer l’avenir ? Notre président mène depuis plus de cinq ans une politique « mondialiste » basée sur le multilatéralisme des relations entre États. Sa vision de l’Union Européenne s’inscrit entièrement dans un monde « globalisé » nécessairement monopolaire. Toutes les décisions prises et toutes les actions qu’il a mené ou prévu le sont en relation de cette vision du monde.

A contrario, rien ne semble être prévu pour notre pays si le monde venait à se régionaliser. Or, l’intégration européenne est avant tout la mise sous une forme « mondialo-compatible » d’un espace dépourvu de frontières et supra-nationalisé.

Le monde monopolaire est un monde qui répond à un ordre « absolu », au sens mathématique du terme. Un monde « multipolaire » ne se conçoit qu’avec un ordre relatif, c’est à dire qu’aucun Etat ne peut prétendre à dominer les autres, et cela change tout.

Aujourd’hui, les États-Unis et leur gouvernement profond dominent encore le monde, ou du moins prétendent le faire. Ils ont des alliés et des adversaires à différents degrés et chaque État peut se définir par rapport à eux. Demain, ces mêmes États devront avoir un fonctionnement différent, et chacun d’entre-eux devra trouver les termes du rapport de forces qui lui permettra d’exister et de coexister.

Quel avenir pour la France ?

Dans cette redistribution géopolitique, quelle pourrait être la place de notre pays ? En 1975, la France était la seconde économie mondiale. Son rayonnement, eu égard à sa population, était considérable. La politique en matière de recherche et de développement avait fait d’elle un des pays les plus « en pointe » dans de nombreux domaines. La politique de l’énergie pas chère avait permis de redémarrer notre industrie mise à mal durant la guerre et nous étions les premiers à avoir mis en service le « minitel » au début des années 80.

On a l’impression que le devenir de la France n’intéresse plus ceux qui nous gouvernent. Ils ont d’ores et déjà acté la mondialisation sous domination américaine et semblent avoir passé en « pertes et profits » toutes les conséquences de leurs décisions dont certaines confinent à l’ineptie. Quand on examine certaines lois, notamment celle sur la transition énergétique, et que l’on prend la mesure de ce qu’elle va entraîner, il y a de quoi s’inquiéter. En a-t-on vraiment mesuré les effets ?

Or, certaines remontent à plusieurs années et leurs effets ne se sont pas encore complètement révélés.

Jusqu’où cela peut-il aller ? Verrons-nous le sursaut salvateur ?

Autant de questions auxquelles notre président et son équipe devraient réfléchir pendant qu’il est -peut-être-, encore temps.


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