L'Occident est en train de perdre le contrôle matériel du monde. Mais il lui reste une carte à jouer: se draper dans la toge de l'invulnérabilité démocratique, en dénonçant les régimes autoritaires qui menacent le monde. Si nous voulons reconstruire notre nation sur de solides fondements, il nous faut pourtant aller au bout de la dénonciation des impostures contemporaines. Il est temps de redécouvrir la philosophie politique grecque et médiévale qui n'accordait pas une valeur absolue à la "monarchie", la "république" ou la démocratie" mais les évaluait selon la manière dont leurs règles respectives étaient respectées.

Les fresques que nous reproduisons ci-dessus sont très connues. Elles sont d’Ambrogio Lorenzetti et ornent la Salle du Conseil du Palazzo Pubblico de la Ville de Sienne.
« Pendant près de 70 ans, de 1287 à 1355, Sienne est dirigée par un « Conseil des Neuf », appelé en son temps « Il Buon Governo ». Elus par tirage au sort, neuf citoyens se doivent d’assumer la charge du pouvoir durant quelques mois. Durant cette période, ils vivent reclus dans le Palazzo Pubblico, siège des Neuf, construit entre 1297 et 1338 sur la Plazza del Campo.En 1338, alors que le pouvoir de la cité commence à décliner, Ambrogio Lorenzetti reçoit une commande du Conseil pour la salle dite de la Paix. Dans cette salle, l’artiste peint une fresque en 3 parties. Sur le mur Ouest sont représentés le mauvais gouvernement et ses effets, sur le mur Nord, le gouvernement de Sienne et sur le mur Est, les effets du bon gouvernement en ville et à la campagne. Les allégories du Bon et du Mauvais Gouvernement se confrontent pour amener à réfléchir sur les répercussions des choix politiques dans la société contemporaine. Le Mauvais Gouvernement est dominé par la vanité, l’orgueil et l’avarice. Le Bon Gouvernement met en valeur les principes de bienveillance, d’équilibre et de justice.Cet ensemble de fresques] glorifie le Gouvernement des Neuf qui défend la commune contre la guerre, permettant ainsi l’essor du commerce et la prospérité de la cité«
Catégories fondamentales de la pensée politique occidentale
Ces fresques sont réalisées deux siècles avant que Nicolas Machiavel ne publie Le Prince. Je n’entrerai pas ici dans le débat, complexe, sur l’interprétation de l’oeuvre du fondateur de la philosophie politique moderne. Mais le contraste entre ce qu’écrit Machiavel au XVIè siècle et ce que représentait Ambrogio Lorenzetti au XIVè siècle est flagrant.
Lorenzetti se situe dans les coordonnées de la philosophie antique et médiévale. La distinction fondamentale est celle du « bon » et du « mauvais » gouvernement. Pour Platon et Aristote, pour Cicéron et Sénèque, pour Saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, la question première n’est pas de savoir si la démocratie est préférable à la monarchie; mais si la forme de gouvernement est mise en oeuvre conformément au bien commun. Le gouvernement d’un seul peut être exercé dans l’intérêt du peuple (monarchie) ou de manière arbitraire (tyrannie). Le gouvernement d’une élite peut être une république gouvernée par les meilleurs; ou dégénérer en une oligarchie fondée sur l’argent (ploutocratie). Le gouvernement direct du peuple n’est pas bon en soi: il peut dégénérer en tyrannie de la foule (ochlocratie).
Luther pensa innover en coupant le lien entre foi et raison. De même, Machiavel proposa une science politique qui abolissait le lien, essentiel pour Cicéron ou Saint Thomas, entre politique et éthique. Or, si nous y réfléchissons bien, la rupture du lien entre éthique et politique est particulièrement funeste dans la crise politique que nous traversons actuellement.
La modernité politique a montré la supériorité de Cicéron sur Machiavel. En 1792, se font face en France le bon gouvernement de Louis XVI et la ploutocratie de la bourgeoisie déchristianisée. Le régime politiquement le plus stable du XIXè siècle fut l’Angleterre, monarchie parlementaire fondée sur l’alternance au pouvoir de deux aristocraties, le parti conservateur et le parti libéral. Le XXè siècle a prouvé, si besoin était, que les régimes les plus progressistes pouvaient dégénérer dans d’horribles totalitarismes. C’est parce qu’ils rétablirent le lien entre éthique et politique que Soljenitsyne, Vaclav Havel, Lech Walesa ou le jeune Viktor Orban purent jouer un rôle essentiel dans les révolutions anticommunistes des années 1980.
Les choix politiques d'aujourd'hui doivent se faire à partir de la question du "bon gouvernement" - en commençant par celui de mon pays.
Le progressisme – pardon, le régressisme – occidental voudrait nous enfermer dans l’opposition entre démocratie et régime autoritaire. Aujourd’hui, il faudrait soutenir l’Ukraine, qualifiée de nation combattant pour sa liberté et la démocratie, face à la Russie autocratique.
Ceux qui défendent un tel point de vue le font au nom de l’actuel gouvernement américain et d’un certain nombre de « valeurs » – qui sont en fait à l’opposé de l’éthique. Le premier critère moral d’évaluation du « bon gouvernement », c’est la question de savoir s’il sert le bien commun, s’il a le souci du peuple qu’il gouverne selon une délégation plus ou moins étendue; s’il respecte la constitution qui règle les relations entre gouvernants et gouvernés. .
Or que voyons-nous dans l’Occident actuel?
+ Le gouvernement Biden est entré à la Maison Blanche suite à une fraude électorale massive. Il est de moins en moins soutenu par la population. Il représente essentiellement les intérêts d’une oligarchie qui s’est révoltée contre son peuple, pour reprendre la célèbre expression de Christopher Lasch.
+ Les pays membres de l’Union Européenne respectent de moins en moins les traités européens qu’ils ont adoptés – et qui les ont constitués ensemble en confédération – au profit d’une fédération incontrôlable.
+ L’Ukraine que l’on nous présente comme un modèle est l’exemple même du « mauvais gouvernement ». Les classes moyennes quittent le pays depuis au moins vingt ans. Une minorité d’oligarques confisque la richesse national à son profit. Le président ukrainien avait été élu sur des promesses de paix et de réconciliation nationale et il fait la guerre à ses concitoyens du Donbass. Son pouvoir ne tient que grâce à un régime de terreur fondé sur des milices fascistes.
+ Tous ensemble, les pays occidentaux sont pris dans la dynamique politiquement mortifère du « Grand Reset ». Une minorité de riches et de puissants se sert des organisations internationales, transnationales, supranationales pour imposer un « agenda » de contrainte proprement totalitaire: sanitaire, numérique, écologique.
La question de la guerre et de la paix est un moyen de vérifier la réalité d’un « bon gouvernement ». On n’est pas volontaire pour défendre une tyrannie. Lorsqu’il dut sauver l’URSS de l’invasion nazie, Staline dut abandonner une partie dun totalitarisme qui caractérisait son régime et il rouvrit les églises. Aujourd’hui, au contraire, la question de défendre la Russie ne se pose pas: la popularité de Vladimir Poutine est passée des deux tiers à 80% d’opinions favorables depuis le début de la guerre.
Vous pourrez me répéter que la Russie n’est pas « une démocratie » (comme si la France de Macron était un modèle en l’occurrence). Je ne vous poserai pas seulement la question de savoir pourquoi vous approuvez le pouvoir d’un Biden, fondé sur la fraude électorale tandis que vous condamnez un Poutine régulièrement (ré)élu. Je vous poserai surtout la question du « bon gouvernement ». Est-ce que, oui ou non, Vladimir Poutine a rempli le contrat qu’il avait passé avec les Russes lorsqu’il a succédé à Eltsine: mise au pas des oligarques, enrichissement du pays, développement industriel, reconstruction de la puissance militaire etc….?
Si, ensuite, vous me posez la question de l’alliance russe avec la Chine, l’Iran ou l’Arabie saoudite, je vous renverrai à nouveau à la question du bon gouvernement:
+ oui, je considère la Chine de Xi Jinping comme une tyrannie néo-totalitaire. Mais je constate que la puissance chinoise contribue à l’équilibre du monde. Je ferai tout pour limiter l’influence du Parti Communiste Chinois dans mes frontières. Cela ne m’empêche pas de préférer – actuellement – la politique étrangère chinoise à celle des Etats-Unis.
+ dans les affaires de défense et de la diplomatie, le bien commun – inter-national – c’est la recherche de l’équilibre des puissances. Je déteste le régime saoudien et le régime iranien, par leur pouvoir de coercition. Mais je constate qu’ils se rapprochent du fait de la politique étrangère américaine. J’imagine qu’un autre gouvernement français pourrait aider à mettre fin au conflit au Yemen. Et favoriser le rapprochement entre Riyadh et Téhéran. Pour la paix du monde.
+ une autre règle fondamentale de la politique est le respect des frontières et de la multiplicité des souverainetés. La contribution de l’Iran ou de l’Arabie saoudite, de la Chine ou de la Turquie à la coexistence pacifique de nations souveraines me préoccupe bien avant la question du jugement que je porte sur des régimes où je ne voudrais pas vivre. Disons que (1) je me préoccuperai de leur politique intérieure quand les affaires de mon pays seront remises en ordre. (2) Il y a plus de chance que l’Iran se libéralise dans un monde en paix, sans ingérence américaine que dans la situation créée depuis 1990 par l’hégémonie américaine. Il serait temps de se rappeler qu’aucune démocratie ne peut être imposée de l’extérieur à une société qui n’en veut pas. Et il se peut que tel ou tel pays préfère la monarchie à la démocratie – ou bien un composé de régimes politiques qui correspond à ses affinités – cela ne me regarde pas: Je vais choquer les bobos: il vaut mieux une monarchie légitime, au sens de Platon ou d’Aristote qu’une démocratie manipulée par une oligarchie de patrons de médias et d’entreprises de la Big Tech.
En même temps que l’équilibre des puissances, la question prioritaire n’est pas celle du bon gouvernement chez d’autres peuples sur qui je n’ai aucune prise. Mais du bon gouvernement dans ma nation. Non seulement je ne souhaiter pas que la France prenne partie pour le gouvernement corrompu de l’Ukraine alors qu’elle pourrait avoir une position médiatrice entre les belligérants. Mais je juge que la priorité se trouve en France: il s’agit que mes compatriotes prennent conscience qu’est inacceptable et progressivement illégitime, un gouvernement qui a fait matraquer les Gilets Jaunes, a sabordé toute réforme sérieuse des régimes de retraite, a imposé la coercition en matière sanitaire, implique mon pays toujours plus dans une guerre où il n’a aucun intérêt à défendre.
La fresque d’Ambrogio Lorenzetti pose la question des effets du « bon gouvernement » et du « mauvais gouvernement » sur la ville et sur la campagne environnante. Effectivement, on reconnaît une « bonne politique » à ses fruits. Une « mauvaise politique » aussi. Je ne peux pas soutenir une politique qui aboutit à plus de chômage, d’inflation, de dette, de désindustrialisation.