Comment les conservateurs bavarois ont torpillé l’occasion d’avoir un Chancelier de droite après Madame Merkel
Deutschland nach der Wahl, Wer mit wem? Nr. 39a, Covermotiv

Comment les conservateurs bavarois ont torpillé l’occasion d’avoir un Chancelier de droite après Madame Merkel


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Une coalition dominée par la droite restait possible après les élections du 26 septembre en Allemagne. En effet le parti libéral (FDP) quitte à devoir faire alliance avec les Verts dans tous les cas, préférait gouverner avec les chrétiens-démocrates qu'avec les sociaux-démocrates. Mais le bavarois Manfred Söder, chef des chrétiens-sociaux, a torpillé cette possibilité car il ne pouvait pas supporter l'idée qu'Armin Laschet devienne Chancelier. La droite allemande détient donc le trophée de "droite la plus bête du monde", dépourvue de tout instinct de survie et d'envie d'exercer le pouvoir.

Les trois causes de l'échec de la CDU aux élections du 26 septembre

Certes, la CDU/CSU est arrivée un point derrière le SPD aux élections du 26 septembre. C’est une défaite. Mais c’est d’abord celle d’Angela Merkel, qui a consciencieusement sapé les bases éthiques et programmatiques du parti chrétien-démocrate dont elle avait la charge, durant quinze ans, en le transformant en un parti de centre-gauche, « macronien », si l’on ose dire – car en fait le macronisme est largement une variante du « merkelisme », son aîné, par son absence de colonne vertébrale, sa capacité à affirmer tout et son contraire tout en se préoccupant essentiellement des intérêts de la bourgeoisie progressiste occidentale. La deuxième responsabilité, très lourde, dans la défaite de la CDU, est celle, de la petite soeur bavaroise, la CSU, dont le chef de file, Markus Söder, s’est transformé depuis le printemps 2020 en Père Fouettard de la politique sanitaire. Avec 37% des voix, les chrétiens-sociaux ont perdu 7 points par rapport à 2017, soit presque autant que dans l’ensemble du pays. Aucun candidat de la CSU n’a franchi la barre des 50% dans la partie de scrutin uninominal – alors que c’était la norme il y a encore seulement quelques années. En 2013, encore, la CSU avait atteint 54% des voix. La troisième responsabilité, bien entendu est celle d’Armin Laschet, filmé en train de rire lors d’un discours du président de la République Fédérale en hommage aux victimes des inondations de l’été. Mais j’ai tendance à penser que cela a moins pesé dans les sondages que les tendances structurelles du déclin merkelien et de l’enfermisme bavarois. 

Et pourtant Armin Laschet a failli devenir Chancelier !

Une vieille règle dit que c’est le chef de file du parti arrivé en tête qui est le candidat naturel à la Chancellerie et qui entame les négociations pour la construction d’une coalition. En fait, la marge de manoeuvre d’Olaf Scholz, présenté par le SPD au poste de Chancelier était réduite par le poids cumulé des Libéraux (11,5%) et des Verts (14,8%), qui pèsent autant, ensemble, que la CDU/CSU ou le SPD pris séparément.  Les discussions qui ont commencé entre le FDP et les Verts ont montré que les Verts, paradoxalement, n’étaient pas rebutés par le fait d’entrer dans une coalition de centre-droit. La coexistence avec le SPD a certes un antécédent, les gouvernements de Gerhard Schröder il y a vingt ans, mais, précisément, ils ont comporté leur lot de tensions. Les Verts étaient donc ouvert à la négociation. Et le FDP lui préférait largement la perspective d’un gouvernement avec la CDU/CSU qu’avec le FDP. Le Courrier des Stratèges a pu le vérifier auprès de plusieurs interlocuteurs récents de Christian Lindner, qui nous ont rapporté des témoignages convergents: un regret du président du FDP d’avoir vu la CSU torpiller les négociations commençantes.

C’est en effet ce qui s’est passé. Markus Söder a considéré que Laschet Chancelier, c’en était fini de ses propres chances d’accéder un jour au poste suprême. Le ministre-président bavarois a préféré torpilller l’accès au gouvernement des siens plutôt que de laisser le Ministre-Président de Rhénanie-Palatinat sortir par le haut – et vainqueur paradoxal – du vote du 26 septembre. Cette semaine, c’est avec le SPD que les Verts et les Libéraux négocient.

Les jeux sont-ils faits?

Ce matin 13 octobre, le Handelsblatt, journal du monde industriel, a publié les scénarios possibles et il est significatif que l’hypothèse Laschet ne soit pas complètement enterrée. C’est celle qui aurait la préférence du monde des affaires. Malgré tout, pour que la solution reste d’actualité, il faudrait que les conversations préliminaires autour d’une coalition dite du « feu rouge » (rouge, jaune, vert, les couleurs respectives du SPD, du FDP et des écologistes) échouent. Cela peut tenir, par exemple, à un refus des Verts d’accepter le maintien de la rigueur budgétaire. Ou un refus des Libéraux d’accepter tel ou tel aspect de la transition énergétique. Disons que tout n’est pas joué mais, si les trois partis actuellement en négociation acceptent une deuxième semaine de discussions, leur intérêt commun sera d’arriver à un accord rapidement – pour faire oublier les désastreux six mois sans accord de gouvernement de l’Allemagne après l’élection de septembre 2017. 

En attendant le dénouement, du fait du comportement à courte vue de Markus Söder – dont les chances d’être Chancelier sont très réduites – la droite allemande a remporté l’actuelle édition du concours de la « droite la plus bête du monde ». 


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