Le terme de « parrain », accolé par la presse et ses pairs à Claude Bébéar, n'est pas anodin. Il ne décrit pas un simple manager, aussi brillant soit-il, mais un détenteur d'autorité, un régulateur de l'ordre implicite, un arbitre des conflits du capitalisme français. Mais de quel capitalisme parle-t-on?

Pour le comprendre, il faut saisir le moment de son avènement : l'après-Ambroise Roux.
Le trône de la place de Paris est devenu vacant en avril 1999, au décès de Roux. Ce dernier incarnait jusqu'à la caricature le capitalisme de connivence à la française : un système colbertiste, dirigiste, fondé sur l'endogamie des grands corps de l'État et des grands conglomérats. C'était un capitalisme de fonctionnaires, de réseaux et de protections mutuelles.
L'ascension de Bébéar n'est pas une simple succession ; c'est une rupture de paradigme. Venu du secteur financier et non de l'industrie, il a importé en France une méthode nouvelle, brutale, prédatrice : celle du capitalisme à l'anglo-saxonne. Son règne fut l'histoire de ce combat : l'utilisation du hard power financier pour disloquer le soft power des connivences.

Le « bâtisseur » : forger l'arme du marché
Contrairement à l'élite parisienne, Bébéar n'était pas un héritier. C'était un provincial méritocrate, fils d'instituteurs, polytechnicien (X 1955) qui a fait ses classes à Rouen, aux Anciennes Mutuelles.
Sa première manœuvre de génie ne fut pas financière, mais sociale. Confronté à une « grève très dure » au début de sa direction, il l'a résolue en instaurant une « politique sociale dynamique » et des avantages révolutionnaires pour l'époque. C'était une manœuvre stratégique : en s'assurant la paix sociale sur sa base arrière, il se donnait les coudées franches pour lancer sa guerre de conquête externe.
Cette guerre commence véritablement en 1982. Alors que le gouvernement de gauche menace de nationaliser l'assurance, Bébéar ne subit pas. Il attaque. Il lance l'acquisition du Groupe Drouot. L'opération est politique : en devenant le premier assureur privé français, il rend son groupe trop gros et trop complexe pour être nationalisé. Il a utilisé le marché pour contrer l'État.
Le reste de sa carrière de « bâtisseur » fut une application de cette méthode. Le nom "AXA", choisi en 1985 par ordinateur, signale une ambition mondiale, rompant avec le provincialisme français. Surnommé « Crocodile Claude » pour son appétit, il enchaîne les acquisitions : Compagnie du Midi, Equitable aux États-Unis, National Mutual en Australie. Il a transformé une petite mutuelle normande en un « géant mondial », se forgeant une arme financière sans équivalent en France.
