Assurance-vie : le Crédit Agricole veut refaire main basse sur l’argent de ses clients

Assurance-vie : le Crédit Agricole veut refaire main basse sur l’argent de ses clients


Partager cet article

L’assurance-vie est au cœur de la tourmente depuis plusieurs semaines, comme nous l’évoquons régulièrement dans nos colonnes. La semaine dernière, les « mutualistes » ont demandé un assouplissement des critères prudentiels imposés par la directive Solvabilité II. Celle-ci avait expressément exclu des fonds propres obligatoires la participation aux bénéfices des épargnants. Le Crédit Agricole demande expressément à ce que ces bénéfices soient désormais reconnus comme une propriété des assureurs. Les associations d’épargnants protestent.

L’assurance-vie n’en finit plus, cet automne, d’inquiéter et de susciter des polémiques. Alors que les taux négatifs éprouvent durement les rendements, les assureurs-vie cherchent des parades en rapport avec leurs difficultés. La nouvelle idée des mutualistes (qui regroupent des acteurs aussi hétéroclites que le Crédit Agricole ou la MAIF) consiste à obtenir un assouplissement des règles prudentielles européennes.

Mais à qui appartiennent les bénéfices de l’assurance-vie?

Pour la circonstance, le Crédit Agricole ne se cache d’avoir ressorti une vieille idée qui fait partie de « l’ADN de la banque » : les bénéfices financiers des contrats appartiendraient aux banquiers et non aux clients. En termes techniques, la provision pour participation aux excédents (PPE), que les assureurs gardent bien au chaud pour rémunérer les épargnants deviendraient propriété des assureurs et non des clients. Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA a ainsi déclaré, sur BFM TV :

« Il se trouve que les assureurs vie qui sont très solides en France ont des milliards d’euros de provisions de réserves sur ce que l’on appelle la provision pour participation aux excédents (PPE). Cela représente au Crédit Agricole quatre ou cinq années d’avance de rémunération des épargnants, (…) il serait quand même opportun de considérer cela comme des fonds propres ».

Toute la question est évidemment de savoir si la rémunération de l’épargne appartient à la banque ou à l’épargnant. Le même sujet s’était posé, dans les années 2000, sur les bénéfices de l’assurance-emprunteur, une autre forme de contrat d’assurance-vie. A l’époque, le Crédit Agricole, qui retirait grâce à la surfacturation de ces contrats entre 3 et 5 milliards d’euros par an, considérait que les bénéfices lui appartenaient.

Il a fallu  une intervention brutale de Bercy, en 2007, pour régulariser une situation qui était tout sauf clair, et qui risquait de déboucher sur des indemnisations massives des épargnants.

Le Crédit Agricole taclé par les épargnants

Cette idée lumineuse consistant à transformer la rémunération de l’épargne en propriété financière de la banque n’est pas du goût de tout le monde. On notera en particulier la résistance acharnée des associations d’épargnants à cette invention baroque. L’honorable Jean Berthon, vice-président de la FAIDER (Fédération des Associations Indépendantes des Défense des Epargnants pour la Retraite) a d’ailleurs déclaré :

Cette façon de vouloir faire main basse sur la PPE est totalement extravagante car c’est l’argent qui provient du produit financier des placements de l’assurance-vie. Il doit être reventilé entre une rémunération immédiate du fonds en euros ou alors reversé aux épargnants dans un délai maximum de huit ans.

Le combat promet donc d’être sanglant contre un mouvement emmené par le Crédit Agricole destiné à faire payer aux épargnants le prix de la politique menée par la Banque Centrale Européenne. En soi, l’idée d’assouplir les règles prudentielles, c’est-à-dire de changer les règles du jeu sur un segment d’activité bancaire in fine garanti par l’Etat ne manque d’ailleurs pas d’intriguer.

Si les règles prudentielles ont été édictées, c’est d’abord pour éviter que la fragilité du secteur bancaire ne se termine en bouillon économique généralisé comme en 2008. Le fait que, loin d’en tirer les conclusions qui s’imposent, les banques françaises demandent, pour survivre, à augmenter le risque systémique en dit long sur la décrépitude progressive de la finance actuelle.

Bruno Le Maire devrait suivre les banques…

Au demeurant, c’est l’Etat qui a bien mal habitué les banques, avec sa manie de toujours leur donner raison envers et contre tout. Dans ce dossier, les traditions devraient ne pas changer. Bruno Le Maire vient d’annoncer son ralliement sans coup férir aux positions doctrinales des banquiers. Toujours prolixe dès qu’il s’agit d’asséner une absurdité économique,  notre brillant ministre affirme :

«Nous sommes allés trop loin sur les normes», a-t-il assuré. Il a souligné les contradictions qui existent entre les règles prudentielles imposées par la directive Solvabilité 2 et le développement de l’investissement des assureurs dans des classes d’actifs visant à financer l’économie réelle.

Il faudrait demander aux banques de redoubler de prudence lorsqu’ils investissent dans des secteurs risqués ? Comment est-ce possible ?

S’agissant de la participation des assurés aux bénéfices de l’assurance-vie, on retrouve ici une pensée habituelle de Bercy, déjà exprimée en 2007, selon laquelle banquiers et assureurs seraient propriétaires de ce que l’assuré gagne grâce à ses placements. Peut-être faudra-t-il ici rafraîchir la mémoire du Crédit Agricole et de la Fédération Bancaire Française sur une option que la collusion avec Bercy permet de défendre au détriment des clients.

A bon entendeur…


Partager cet article
Commentaires

S'abonner au Courrier des Stratèges

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter pour ne rien manquer de l'actualité.

Abonnement en cours...
You've been subscribed!
Quelque chose s'est mal passé
Emmanuel Todd, le déclin de l'Occident et la séduction de l'ombre, par Thibault de Varenne

Emmanuel Todd, le déclin de l'Occident et la séduction de l'ombre, par Thibault de Varenne

Emmanuel Todd est l'un des chantres les plus en vue de la puissance russe et de sa capacité à combattre la décadence occidentale. Mais s'agit-il d'une approche scientifique, ou d'un récit ciselé pour nourrir les croyances et les fantasmes d'un public sous état d'hypnose ? Emmanuel Todd occupe une place singulière dans le paysage intellectuel français. Historien, démographe, anthropologue, il est célèbre pour ses analyses à contre-courant et ses prédictions audacieuses, dont la plus fameuse


Rédaction

Rédaction

Le crépuscule de l'Occident et l'appel du Sauveur Poutine, par Thibault de Varenne

Le crépuscule de l'Occident et l'appel du Sauveur Poutine, par Thibault de Varenne

L'Occident est en pleine décadence et Poutine est le défenseur des valeurs traditionnelles qu'il fera triompher face au nihilisme woke ! Cette chanson bien connue s'appuie-t-elle uniquement sur une analyse raisonnée de l'histoire contemporaine ? Dans quelle mesure projette-t-elle aussi les angoisses de ceux qui la propagent ? Thibault de Varenne passe cette vision au crible de la triade sombre. L'histoire humaine n'est pas un long fleuve tranquille. C'est un océan chaotique de causes et de


Rédaction

Rédaction

La Triade Sombre a-t-elle pris le pouvoir dans le monde ?

La Triade Sombre a-t-elle pris le pouvoir dans le monde ?

Au carrefour de la psychologie de la personnalité et de l'analyse politique, un concept a gagné une importance considérable pour déchiffrer les dynamiques de pouvoir contemporaines : la Triade Sombre (ou Triade Noire). Cette Triade a-t-elle pris le pouvoir dans le monde contemporain ? La triade sombre, ou noire, regroupe trois traits de personnalité distincts mais interconnectés, considérés comme socialement aversifs : le narcissisme, le machiavélisme et la psychopathie. Formalisée en 2002


Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Louvre : les intouchables de la République, par Veerle Daens

Louvre : les intouchables de la République, par Veerle Daens

Le vol des joyaux de la Couronne n'est pas le vrai scandale. Le vrai scandale, c'est que personne n'a payé. En sept minutes, une poignée de criminels a exposé la faillite d'une institution d'État, le Louvre, mais surtout la faillite morale d'un système : la république des copains-coquins, où la responsabilité est un concept réservé au bas peuple. Au cœur de cette débâcle se trouve Laurence des Cars, présidente-directrice du musée. Son maintien en poste est une masterclass sur le privilège d


CDS

CDS