Assurance-chômage : le Conseil d’État tétanisé par les contradictions de la caste qu’il représente

Le Conseil d’État vient de suspendre l’application de la réforme de l’assurance-chômage au 1er juillet 2021, conformément à la demande des organisations syndicales qui le saisissaient. Cette décision moralement prévisible illustre bien les difficultés de plus en plus grandes que la caste rencontre pour justifier sa stratégie de préservation coûte-que-coûte de ses privilèges, dissimulée derrière une idéologie moisie de la protection tous azimuts. Ces difficultés devraient aller croissante, au fur et à mesure que l’Union Européenne va faire pression pour que la France réduise ses déficits.

La réforme de l’assurance-chômage n’aura pas lieu. En tout cas pas le 1er juillet comme un imprudent décret proposait de l’entamer. Le Conseil d’Etat vient de suspendre celui-ci pour des raisons morales et d’équité assez aisément compréhensibles et prévisibles, en attendant un jugement sur le fond.
Le Conseil d’Etat annule le deux poids deux mesures
Il faut dire que le gouvernement a, dans ce dossier, fait très fort. On se rappelle que Bercy a plastronné que la grande mesure de réduction des déficits publics prise cette année serait la réforme de l’assurance-chômage. En l’espèce, la réforme imposée par décret en passant outre à la prétendue « démocratie sociale » proposait deux mesures essentielles : une diminution de l’indemnisation des chômeurs en contrats courts dès le 1er juillet 2021, et l’instauration d’un système de bonus-malus pour les employeurs qui recourent aux contrats courts, à compter du 1er septembre 2022.
On voit bien la stratégie utilisée ici, que nous avons régulièrement décrite. Elle consiste, comme la Cour des Comptes le suggère, à concentrer les économies sur le tiers état, en exonérant l’aristocratie de tout effort. Concrètement, on diminue tout de suite les dépenses en faveur des chômeurs, mais on retarde l’effort des entreprises publiques qui recourent massivement aux contrats courts (Radio France, par exemple).
Pendant ce temps, le gouvernement met sagement sous le boisseau les remarques de la Cour des Comptes sur la dérive des dépenses publiques.
L’indépendance du Conseil, une fiction à défendre
Sur le fond, cette annulation embarrassée (en attendant une décision sur le fond qui n’interviendra pas avant la fin de 2021, et rend donc caduc le plan gouvernemental de réduction des déficits par une saignée des chômeurs) n’est que le début d’une longue série de désillusions pour Emmanuel Macron si celui-ci maintient sa stratégie inégalitaire de mise en coupe réglée du secteur privé pour protéger le train de vie des fonctionnaires. Le Conseil d’Etat l’a écrit : on ne peut ouvertement sacrifier les uns sans demander des efforts aux autres.
Alors que la réforme prévoit de différer au 1er septembre 2022 la mise en œuvre du système de bonus-malus pour les cotisations dues par les employeurs, précisément en raison des incertitudes sur l’évolution de la situation économique et du marché du travail, les nouvelles règles de calcul pour les salariés s’appliquent dès le 1er juillet prochain. La juge des référés considère qu’est sérieuse la contestation portant sur l’erreur manifeste d’appréciation entachant ainsi l’application immédiate de la réforme pour les salariés.
En termes d’équité, le Conseil d’Etat risque gros, en effet, en suivant les délires des hauts fonctionnaires du ministère du Travail ou de Bercy dont la seule obsession est de protéger leurs intérêts directs. On ne peut éternellement apparaître comme une Cour Souveraine impartiale et céder à toutes les injonctions de la caste au pouvoir. Question de crédibilité, sans doute.
Se prétendre européen et violer le traité de Maastricht
Reste que, une fois de plus, le Conseil d’Etat souligne les contradictions de la caste au pouvoir, qu’il fournit couramment en conseillers en tous genres. Tout ce petit monde adore en effet se déclarer européen, partisan des Lumières et du multilatéralisme communautaire, mais il déteste s’appliquer à lui-même les règles qu’il trouve géniales pour les autres.
C’est particulièrement vrai pour le critère sensible des déficits publics, qui supposerait que les hauts fonctionnaires entreprennent de « manager » efficacement le service public et accessoirement de limiter leur propre cupidité. Ce remue-ménage, pudiquement appelé « réforme de l’Etat », ne fait pas vraiment partie des usages.
Il est donc de bon ton de répéter à l’envi que l’Europe est la meilleure nouvelle qui nous ait été annoncée depuis l’arrivée du Messie, et de pratiquer l’européisme à la manière dont une certaine bourgeoisie pratiquait le catholicisme : avec beaucoup de foi, mais pas beaucoup d’actes.
Voilà pourquoi la caste au pouvoir tourne tant autour de pot. Elle aimerait bien cantonner l’effort aux plus pauvres (nous invitons vraiment les lecteurs à se référer à notre article sur les positions de la Cour des Comptes en la matière), mais ce choix, assumé par Bercy, est compliqué à justifier auprès de Monsieur Tout le Monde, surtout si Monsieur Tout le Monde a la faculté de saisir, in fine, le juge européen pour dire tout le mal qu’il passe de la façon dont la France applique réellement les traités.
Le Conseil d’Etat et la sécurité sociale
Le juge national est donc bien obligé de censurer des dispositions « éclairées » qui cherchent à cantonner l’application des traités à un segment seulement de la population. Les plus vulnérables par exemple. Sous peine de risquer un rappel à l’ordre de la Cour de Luxembourg.
C’est particulièrement vrai pour le Conseil d’Etat, qui chérit depuis l’entre-deux-guerre la « sécurité sociale », après avoir combattu le recours aux acteurs privés en santé et en retraite. C’est en effet aux Alexandre Parodi, aux Pierre Laroque, aux Stéphane Hessel, puis aux Philippe Bas et Renaud Dutreil, tous conseillers d’Etat, rappelons-le, que nous devons l’inscription progressive de la protection sociale dans une grande machinerie monopolistique publique appelée « sécurité sociale », source permanente de déficit. Pour les conseillers d’Etat, la sécurité sociale est la façon la plus commode de dominer la société sans créer de trouble social.
Remettre en cause cette logique pour appliquer froidement le traité de Maastricht, en diminuant les « interventions sociales » sans toucher à aucune autre intervention de l’Etat, constituerait une remise en cause d’un projet séculaire que le Conseil n’est pas prêt d’accepter. Cette résistance historique risque de mettre Emmanuel Macron en difficulté dans les mois qui viennent.
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