Coronavirus : comment les démocraties finissent… (journal de bord)

Coronavirus : comment les démocraties finissent… (journal de bord)


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Le coronavirus contamine tout, même les têtes, même l'envie de démocratie. Deuxième épisode de mon journal de bord sur Paris, cité interdite.

Paris entre peu à peu dans l’épidémie du coronavirus, et l’épidémie du coronavirus entre peu à peu dans Paris. Ce matin, nous n’étions pas encore confinés, mais des files d’attente, espacées d’un mètre comme le veut la règle de confinement, piétinaient en silence devant chaque supermarché ouvert, donnant à la ville une étouffante atmosphère de crise. Les gens se regardent, et parfois échangent un air de patience, de résignation, de lassitude complice.

Jamais on a ressenti aussi vivement l’apartheid à Paris. Les Parisiens natifs respectent assez spontanément la discipline exigée par les autorités. Les allochtones semblent s’en détacher, comme si la maladie était au-dessus de leurs préoccupations quotidiennes. À la Goutte d’Or, il a fallu déployer des policiers pour que les magasins africains fassent respecter les règles et pour que les clients se plient aux principes du confinement.

Deux villes se côtoient, avec leurs visions très différentes du monde, même si, officiellement, il est interdit d’en parler sous peine d’être taxé de racisme. Mais il est un fait que la discipline collective est une affaire d’Européens. À côté de la maison, le chantier Ronald MacDonald a continué à faire trembler les murs jusque tard dans l’après-midi. Il n’est mené que par des Subsahariens. Deux villes, deux mondes, deux cultures, deux civismes se superposent sans se croiser.

La trésorerie de l’entreprise, nouvelle bataille à mener

À distance, je pilote la trésorerie de l’entreprise qui, à Lyon, se confine aussi. Les instructions sont obscures, floues, changeantes. Il faut improviser. J’ordonne aux salariés de se mettre à l’abri le plus vite possible, par peur d’être un jour taxé d’avoir mal interprété la volonté inintelligible du pouvoir exécutif.

En écoutant la radio, je comprends que je suis loin d’être seul à n’avoir pas compris ce que le Président avait dit. Il faut prendre ses responsabilités à sa place.

Dans la pratique, on sait tous que le paquet de mer qui s’abat sur nous nous emmène vers des rivages inconnus, qui ne ressembleront en rien à ce que nous imaginions jusque-là. Mais il faut rassurer, faire bonne figure. Faire comme si on savait et comme si on n’avait pas peur du lendemain.

L’effondrement du système, quelle bénédiction!

À titre personnel, le grand désordre qui s’annonce me convient bien. Je n’en pouvais plus, de cette routine élitaire où toute innovation est suspecte, fait ricaner, où l’étiquette de la Cour impose de faire le singe savant et de respecter une rhétorique désuète qui est, en France, la condition de la respectabilité. S’avancer en terra incognita me plaît, et même me rassure.

Mais beaucoup ont peur et cherchent un cadre rassurant. Paris a perdu de nombreux habitants, qui s’entassent sur les routes ou dans les gares pour fuir la capitale. Un directeur de publication m’a écrit hier à minuit pour se féliciter d’être arrivé à La Rochelle après de nombreux embouteillages et ralentissements. Majoritairement, les Parisiens qui aiment l’ordre et la discipline collective, sont effarés de voir leurs murailles et leurs chemins de ronde dévastés par la contagion. Ils prennent la poudre d’escampette, comme en 40, au risque de disséminer encore plus le virus.

Mon atavisme à moi est de ne pas partir. Ma grand-mère s’était toujours accrochée à son sol de franque salienne. Dans la famille, nous n’avons jamais pratiqué l’exode. Là où les problèmes se posent, nous restons pour les affronter. Le contraire ne nous effleure pas.

Et puis quelle chance de renouveler les élites décadentes de ce pays, enfin.

L’angoisse monte

Mais je suis bien seul à penser de cette façon. Partout l’angoisse monte, palpable. Un chef d’entreprise industrielle m’appelle. Un tiers seulement de ses effectifs est prêt à travailler. Le reste a peur. Les femmes pleurent ou retiennent difficilement leurs larmes en se demandant ce qui va leur arriver.

Émission de radio de 11h à 12h, par téléphone car le confinement interdit désormais de bouger. Je sens ma chère présentatrice, ma préférée Valérie Expert émue par l’effondrement du monde. Elle n’est pas la seule dans cet état. Mais je vois aussi ma fille Astrée heureuse de partager du temps avec ses parents. Elle est minoritaire dans son cas.

Partout, la peur de tomber malade. Les vrais chiffres sur l’exposition des jeunes au risque létal sont difficiles à obtenir. J’interroge un interne qui me dit se moquer du nombre de morts, ne s’occuper que du nombre de malades sauvés dans son service. Pourtant il existe bien des cas de jeunes de 30 ans sans comorbidité connue qui décèdent en quelques jours, parfois, semble-t-il, en quelques heures, étouffés.

Partout, l’appel à l’ordre

On sent que les premières scènes de barbarie arrivent. Le système tient encore. Comme me le garantit une directrice de maison de retraite du sud de la France, les personnels tiennent les remparts. Mais les premières scènes de pillage troublent. À Trappes, des jeunes ont pillé un magasin et attaquer les forces de l’ordre. Pour l’instant, il n’y a pas de pénurie, mais on sent qu’il suffirait d’un rien pour que tout dégénère.

Progressivement, les pouvoirs publics parlent. Les élections sont reportées au 21 juin. Le ministre de l’Agriculture explique que l’approvisionnement est assuré jusqu’en juillet. On comprend que la crise va durer, qu’elle excédera bien les quinze jours.

Le manque de discipline dans le respect des consignes fait réagir vivement. L’exode des Parisiens exaspère les provinciaux qui craignent d’être contaminés. Le gouvernement est suspect de manquer d’autorité.

Et toujours cette peur de mourir. Alors qu’en 1920, le pays qui sortait de la guerre avait encaissé des centaines de milliers de morts du fait de la grippe espagnole, cent ans plus tard, il ne veut pas endosser 500.000 morts du coronavirus. Alors on bloque tout, et on paralyse le pays. On le paiera par 65 millions de pauvres pendant au moins une décennie, qui seront prêts à toutes les aventures autoritaires.

En réalité, dans les deux ou trois semaines, le Président recourra à l’article 16 de la Constitution et suspendra les libertés. On est déjà supposé indiquer pour quel motif on marche dans les rues aujourd’hui, si l’on rompt le confinement, même pour faire cinquante mètres. Personne n’a réagi à cette annonce : tout concourt à défendre l’ordre.

C’est une phase régressive. Je me souviens de l’essai de Jean-François Revel : comment les démocraties finissent, qui m’avait éveillé à la politique. Sa peur n’a jamais été aussi proche de se réaliser.

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