Comment la loi PACTE va torpiller la compétitivité des entreprises françaises

Comment la loi PACTE va torpiller la compétitivité des entreprises françaises


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La compétitivité des entreprises françaises, à rebours de ce qu’en dit le gouvernement, sera finalement lourdement impactée par la loi PACTE. Celle-ci crée en effet, dans l’indifférence des mouvements patronaux, et en catimini, d’importantes obligations juridiques nouvelles pour toutes les entreprises, y compris les PME et les TPE. Elles seront obligées, à l’avenir, de prendre en considération, dans leur gestion, les enjeux sociétaux et environnementaux. Dans un désordre manifeste et une impréparation du groupe En Marche, le débat n’a pas permis de montrer comment le gouvernement aurait pris la mesure préalable de l’impact de son innovation.

Dans la foulée du rapport Notat-Sénard, qui a attiré toutes les sympathies de la presse subventionnée, le gouvernement a rédigé l’article 61 de sa loi Pacte, avec l’exposé des motifs suivant:                                                                    L’article 61 consacre la notion d’intérêt social et ouvre la possibilité aux entrepreneurs qui le souhaitent de consacrer la raison d’être de leur entreprise dans leurs statuts, suivant les recommandations du rapport « l’entreprise, objet d’intérêt collectif » réalisé par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat. Cet article vise, d’une part, à consacrer la notion jurisprudentielle d’intérêt social au sein de l’article 1833 du Code civil. Le code civil et le code de commerce font parfois référence à « l’intérêt des sociétés » et le juge utilise la notion d’intérêt social dans le cadre de certains contentieux (comme par exemple celui de l’abus de bien social ou de l’abus de majorité). Cependant, cette notion n’a jamais été définie par le législateur. Cette absence s’explique essentiellement par le fait que la pertinence de son application pratique repose sur sa grande souplesse, ce qui la rend rétive à tout enfermement dans des critères préétablis. Les éléments nécessaires pour déterminer si une décision est ou non contraire à l’intérêt social dépendent en effet trop étroitement des caractéristiques, protéiformes et changeants, de l’activité et de l’environnement de chaque société. Afin de conserver cette souplesse, essentielle à son application, le projet d’article ne propose pas de définition rigide, mais plutôt d’en consacrer la notion. L’obligation proposée d’une gestion des sociétés « dans l’intérêt social, en considération des enjeux sociaux et environnementaux » consiste ainsi à entériner, dans le Code civil, l’application qui en est faite en jurisprudence. Cette consécration entérinerait ainsi pour la première fois au niveau législatif un aspect fondamental de la gestion des sociétés : le fait que celles-ci ne sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières, mais dans leur intérêt autonome et dans la poursuite des fins qui lui sont propres. La mention des enjeux sociaux et environnementaux permet de préciser que tout dirigeant devrait s’interroger sur ces enjeux et les considérer avec attention, dans l’intérêt de la société, à l’occasion de ses décisions de gestion. Si l’intérêt social correspond ainsi à l’horizon de gestion d’un dirigeant, la considération de ces enjeux apparait comme des moyens lui permettant d’estimer les conséquences sociales et environnementales de ses décisions. Par conséquent, un éventuel dommage social ou environnemental ne pourra pas prouver à lui seul l’inobservation de cette obligation. Ce sont ces moyens et ces réflexions que seraient amenés à mettre en place les conseils d’administration et les directoires dans les sociétés anonymes et les gérants des sociétés en commandites par actions. Les modifications proposées au sein du code de commerce visent en effet à faire de ces organes les acteurs d’une politique de gestion prenant en considération ces enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de leur société, comme le demanderait le nouvel article 1833 du Code civil. D’autre part, par les modifications proposées à l’article 1835 du Code civil, ce projet d’article permettrait aux associés de toute société d’inscrire dans les statuts de l’entreprise sa raison d’être. Cette notion de raison d’être vise à rapprocher les chefs d’entreprise et les entreprises avec leur environnement de long terme. Le rapport « l’entreprise, objet d’intérêt collectif » réalisé par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat indique que la notion de raison d’être peut être définie « comme l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social ». La raison d’être peut ainsi « avoir un usage stratégique, en fournissant un cadre pour les décisions les plus importantes ». À la manière « d’une devise pour un État, la raison d’être pour une entreprise est une indication, qui mérite d’être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques précis y soient attachés ». Ce projet d’article incite ainsi, sous la forme d’un effet d’entrainement, les sociétés à ne plus être guidées par une seule « raison d’avoir », mais également par une raison d’être, forme de doute existentiel fécond permettant de l’orienter vers une recherche du long terme.                    Loi Pacte                      Exposé des motifs de l'article 61

De cette longue prose évoquant le « doute existentiel fécond » qui devrait désormais habiter tous les chefs d’entreprise, y compris le boulanger du coin ou le coiffeur de l’avenue, on retiendra cette remarque ambiguë:

« Ce sont ces moyens et ces réflexions que seraient amenés à mettre en place les conseils d’administration et les directoires dans les sociétés anonymes et les gérants des sociétés en commandites par actions. Les modifications proposées au sein du code de commerce visent en effet à faire de ces organes les acteurs d’une politique de gestion prenant en considération ces enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de leur société, comme le demanderait le nouvel article 1833 du Code civil. »

En lisant cette phrase, on retire le sentiment que la loi PACTE ne s’appliquerait qu’aux sociétés anonymes ou aux sociétés en commandites par action. Or l’article 1833 du Code civil s’applique à toutes les entreprises, y compris les TPE et les PME…

Personne n’échappera donc à cette machine infernale.

Les craintes du Conseil d’État sur cette innovation baroque

Il faut lire l’avis du Conseil d’État sur ce texte pour en mesurer les risques. Voici notamment la remarque « foudroyante » adressée par nos hauts fonctionnaires conseillers parfois avisés du gouvernement.

« Au regard de ces ambitions, le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur le caractère incomplet de l’étude d’impact du projet de loi qui reste, en dépit des compléments déjà apportés, en-deçà des exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Il incombe au Gouvernement de l’améliorer avant le dépôt du projet de loi au Parlement, en premier lieu pour mieux expliquer les raisons qui conduisent le Gouvernement à modifier le code civil, en deuxième lieu pour apporter des précisions sur le contenu et la portée de la notion de « raison d’être », en troisième lieu pour permettre de mesurer les conséquences juridiques des modifications du code civil et du code de commerce notamment du point de vue de la responsabilité des sociétés et des dirigeants, enfin pour apprécier les incidences économiques des propositions faites ainsi que leur impact sur la gouvernance et la compétitivité des entreprises françaises.«

En réalité, le Conseil d’État a tapé juste là où le texte fait mal. Dans l’euphorie macronienne postérieure au rapport Sénard-Notat qui prétendait projeter les entreprises françaises dans un XXIè siècle qu’elles bouderaient prétendument, les services de Bercy ont transcrit les ambitions présidentielles sans expertiser juridiquement avec méthode et rigueur les conséquences du texte qu’ils rédigeaient.

Résultat: la loi introduit des sortes de notions philosophiques par bribes, comme la « raison d’être », dans le corpus juridique. Et personne n’est capable de bien comprendre où tout cela nous mènera.

Les risques juridiques pour la compétitivité des entreprises

Dans la pratique, et dans la manifeste indifférence des organisations patronales, la loi PACTE devrait généraliser à toutes les entreprises une obligation nouvelle en matière de gestion: il faudra à l’avenir intégrer les conséquences sociales ou environnementales dans la prise de décision.

Comme beaucoup de députés l’ont souligné, cette prise en compte existe déjà très souvent. La loi la transforme désormais en obligation, avec la possibilité d’invoquer un préjudice devant les tribunaux dans le cas où l’obligation n’aurait pas été respectée, et où l’entreprise serait à l’origine d’un dommage.

Autrement dit, la loi PACTE est en train de tirer une balle dans le pied de toutes les entreprises françaises, en plaçant dans leurs obligations de bonne gestion, la prise en compte de critères qui n’existaient pas jusqu’ici. Concrètement, le cordonnier du coin qui aurait le malheur de polluer son voisinage pourrait se voir chargé d’une faute civile en plus de sa responsabilité actuelle pour son manque de vigilance.

On mesure immédiatement l’exposition au risque juridique nouveau que crée ce texte présenté comme avant-gardiste par Bruno Le Maire. Alors que la croissance est poussive et que le commerce extérieur français est toujours aussi déficitaire, alors que les entreprises de main-d’oeuvre les plus polluantes ont massivement délocalisé leurs activités durant ces vingt dernières années, le gouvernement réputé pro-business d’Emmanuel Macron invente un nouveau tourment pour les entrepreneurs.

Cette fois, l’attaque n’est pas économique, elle est juridique. La France torpille la compétitivité réglementaire de ses entreprises au nom d’un soi-disant progrès dont personne n’a encore mesuré les conséquences.

L’évidente panique du groupe En Marche à l’Assemblée

La vidéo reproduite en tête de cet article souligne bien la profonde incompréhension par les députés En Marche des modifications législatives qu’ils promeuvent. Les explications de la co-rapporteuse Coralie Dubost paraissent lunaires et prouvent une chose: l’intelligibilité de la loi est bien loin dans cette affaire. Manifestement, personne, au sein du groupe En Marche, ne sait clairement quelle sera l’impact juridique du texte en cours d’adoption.

Pour les chefs d’entreprise, il n’est pas trop tard pour se mobiliser contre ces innovations fumeuses qui devraient une fois de plus, compliquer et fragiliser la vie de nos entreprises.

Sur le fond, le moment est peut-être venu de s’interroger sur le caractère effectivement « pro-business » du gouvernement d’Édouard Philippe.


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