Sous prétexte de lutter contre la “fatigue des bandeaux”, Bruxelles prépare un vaste recul des protections numériques. Derrière l’assouplissement du RGPD, c’est surtout un cadeau à Big Tech, qui pourra puiser dans les données européennes pour entraîner ses modèles d’IA.

La Commission européenne a dévoilé mercredi un large projet de refonte du droit numérique. C’est une proposition visant à assouplir le Règlement général sur la protection des données (RDGPD) et la directive « e-Privacy ». Mais ce projet est déjà critiqué par les associations de défense des droits numériques et celles des consommateurs. Pour elles, il s’agit d’un saut en arrière, car la proposition n’avantage que les géants du tech.
Des changements visant à centraliser les règles
Mercredi, l’Union européenne a dévoilé son projet de refonte de droit numérique. Il réunit une série de mesures visant à assouplir le RGPD, en vigueur depuis 2018. Ce texte exige la transparence sur la collecte et l’utilisation des données des utilisateurs. Cette proposition inclut aussi une modification de la directive « ePrivacy » encadrant le traitement des données personnelles des utilisateurs et l’application des cookies, les traceurs qui mémorisent leurs identifiants de connexion ou leurs préférences de navigation.
La Commission européenne souhaite centraliser les règles. Elles seront toutes regroupées sous un seul texte : le RGPD. Le but est de faire en sorte que les internautes puissent enregistrer directement leur préférence de consentement dans leur navigateur ou via une autre application en un seul clic.
Cela permet d’éviter l’affichage récurrent des bandeaux d’autorisation ou des demandes de cookies à chaque lancement d’un site web. Cependant, la Commission a prévu une exception qui consiste à permettre aux médias de toujours demander l’accord des internautes qui visitent leurs plateformes « compte tenu de l’importance des sources de revenus en ligne pour le journalisme indépendant ».
Ce projet de refonte du droit numérique comprend également des mesures facilitant l’accès aux données personnelles des internautes par les entreprises technologiques qui opèrent dans le secteur de l’Intelligence artificielle. En d’autres termes, la Commission européenne leur donne le droit d’exploiter ces informations pour nourrir leurs modèles d’IA sans exiger le consentement des utilisateurs. Toutefois, les géants du Tech sont tenus de respecter les « intérêts ou droits et libertés fondamentaux » des utilisateurs.

Le consentement, premier rempart contre l'arbitraire, sacrifié sur l'autel du confort
Le premier volet de cette réforme concerne le consentement. La possibilité d'enregistrer son choix dans son navigateur est présentée comme une avancée pour l'utilisateur.
En réalité, c'est un piège. Ce mécanisme, s'il peut réduire les clics à court terme, transforme un choix conscient et contextuel – « J'accepte ces cookies sur ce site, à ce moment précis » – en un paramètre par défaut, passif et facilement oublié.
La « fatigue du consentement » n'est pas un bug du RGPD, c'est sa caractéristique la plus vertueuse : elle rappelle constamment à l'individu que sa vie privée a un prix et qu'elle est convoitée. En voulant « simplifier » ce processus, la Commission étouffe le seul mécanisme qui garantissait une forme de négociation entre l'internaute et le service qu'il utilise.
C'est le principe de précaution appliqué à la liberté individuelle : face à une nuisance potentielle (la perte de privacy), il faut une barrière claire et active. Bruxelles choisit de démanteler cette barrière.
Dans un marché où la donnée est devenue la matière première essentielle, cette disposition constitue un transfert massif de pouvoir au profit des géants de l’IA.
Les firmes qui contrôlent les infrastructures, les algorithmes et la puissance de calcul captent déjà l’essentiel de la valeur.
En leur offrant un accès simplifié aux informations personnelles, la Commission renforce ce monopole et affaiblit la capacité des individus et des petites entreprises à résister à des plateformes devenues des machines d’influence.
L’Europe, qui prétendait protéger la vie privée contre l’hyper-puissance numérique, choisit désormais de libérer les flux de données pour rattraper son retard dans l’IA. Les associations dénoncent un “recul massif”. Elles ont raison : Bruxelles offre aux empires du numérique ce que ceux-ci n’osaient même plus demander. Dans une économie où l’information est pouvoir, la Commission organise volontairement la dépendance européenne aux plateformes étrangères — et affaiblit encore un peu plus la liberté des citoyens.

