Un éleveur de la Somme est poursuivi pour tapage nocturne après avoir nourri ses animaux à 6 heures du matin. Cette affaire est bien plus qu'une simple querelle de voisinage. Elle est le symptôme d'une fracture entre le monde rural productif et de nouveaux ou d'anciens riverains dont les attentes en matière de tranquillité et de sécurité ont évolué. Qualifiée de « grande première » par le syndicat agricole FDSEA80, cette convocation judiciaire, survenue malgré une récente loi visant à protéger les agriculteurs, soulève des questions sur la coexistence des modes de vie en milieu rural.
C’est du jamais vu ! Un agriculteur du Vimeu, dans l’ouest de la Picardie, a dû comparaître devant le tribunal mardi. Il est poursuivi pour tapage nocturne et c’est un couple de voisins qui a déposé la plainte. La FDSEA80 a organisé un rassemblement devant le tribunal d’Amiens pour soutenir l’agriculteur au cours de son audition.
Un conflit de voisinage insolite à Vimeu
Le mardi 14 octobre 2025, un agriculteur de Vimeu, dans l’Ouest de Picardie, a été convoqué pour une audition au palais de Justice d’Amiens. Un couple de voisin a déposé une plainte contre lui pour tapage nocturne.
Dans un communiqué, la Fédération des syndicats d’exploitants agricoles FDSEA80 a donné des précisions concernant ce conflit de voisinage insolite. En octobre 2024, l’agriculture « avait prévu une journée assez conséquente pour réaliser ses chantiers de récoltes de pommes de terre et de betteraves (…), ça l’a obligé à nourrir ses bêtes avant de l’entamer ». Il a exécuté cette tâche à 5heures du matin, peut-on lire le communiqué. Un couple de voisins a déclaré que l’agriculteur faisait trop de bruits en réalisant ses activités à une heure aussi matinale.
L’un des plaignants, Marie-Christine, a donné une autre version sur la cause du litige. Elle a expliqué que:
« les allées et venues vers 6h du matin ont duré pendant près d’un an ... Il laissait tourner le tracteur très longtemps. Et en plus, le soir, quand il s’occupait de ces patates, il y avait du bruit régulièrement jusqu’à 2, 3 heures du matin »,
a-t-elle ajouté. Marie-Christine a indiqué qu’à part les nuisances sonores et odorantes, elle craint pour la sécurité de sa famille, car un taurillon se trouvait même dans son jardin.
Un conflit qui dépasse les simples nuisances sonores
Le premier choc de cette affaire réside dans la nature même de l'accusation. L'activité agricole, par essence, impose des contraintes horaires dictées par le vivant (les animaux) ou par les conditions climatiques et le cycle des cultures (récoltes).
Denis Bully, président de la FDSEA80, exprime son étonnement : il est inhabituel, voire absurde, de voir l'acte de nourrir ses animaux – une tâche vitale et non-négociable pour l'éleveur – traduit devant la justice comme une nuisance.
Ce point de vue est renforcé par le contexte : l'agriculteur incriminé a dû avancer l'heure pour pouvoir gérer des « chantiers de récoltes de pommes de terre et de betteraves » particulièrement longs.
Il s'agit donc d'une nécessité professionnelle. Le rassemblement de soutien, sous le slogan éloquent « La campagne, tu l'aimes ou tu la quittes », positionne clairement le monde agricole en victime d'une intolérance urbaine ou néo-rurale face aux bruits « normaux » de la ferme.
Tandis que la voisine se sent dépossédée de son cadre de vie et déplore une dépréciation de 30% de sa maison.
Cette plainte aurait pourtant pu être évitée. Elle met directement à l'épreuve la loi du 15 avril 2024, censée sanctuariser les pratiques agricoles contre les « querelles de voisinages ». Cette loi introduit une exception de responsabilité si le trouble provient d'activités « préexistantes » à l'installation du riverain.
Cette « loi du bon sens rural », votée après le scandale de Saint-Aubin-en-Bray, reconnaît que la vie agricole comporte des nuisances naturelles, inhérentes à l’activité nourricière.
L'agriculteur du Vimeu devrait en théorie être protégé, puisque Marie-Christine reconnaît que l'exploitation existait avant son installation. Cependant, l'argument de la "transformation" de l'exploitation (son agrandissement) pourrait complexifier l'application de la loi.
Comme le souligne le secrétaire général de la FNSEA, près de 500 agriculteurs en France feraient l'objet de procédures similaires. Ce chiffre révèle une tendance à la judiciarisation des conflits qui, auparavant, se réglaient souvent par le dialogue. L'appel à un rassemblement devant le tribunal et la volonté des agriculteurs de se constituer partie civile montrent que la profession se perçoit comme une communauté menacée, devant se solidariser face à ce qu'elle considère comme une injustice.

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