Il se passe quelque chose d'inouï outre-Rhin. Une bascule qui n'est pas seulement politique ou militaire, mais qui est désormais spirituelle.

Lorsque le chancelier Scholz a prononcé son fameux discours sur le Zeitenwende – le "changement d'époque" – inaugurant un fonds de 100 milliards d'euros pour le réarmement, le monde a pris note de la fin du "pacifisme" allemand. Mais nous assistions alors à un acte politique.
Ce à quoi nous assistons aujourd'hui est plus grave : c'est la justification morale et théologique de ce tournant. L'Église évangélique d'Allemagne (EKD), la principale institution protestante du pays, vient de publier son nouveau mémorandum sur la paix, "Un monde en désordre" (Welt in Unordnung). C'est une rupture spectaculaire avec sa doctrine de 2007 et, pour tout observateur de l'histoire européenne, un document profondément inquiétant.

La sécurité avant la paix
Le problème de ce mémorandum n'est pas qu'il reconnaît que le monde est dangereux. Le problème est qu'il capitule devant ce constat.
Là où l'éthique de paix précédente cherchait un "juste équilibre", ce nouveau texte instaure une hiérarchie claire : la "protection contre la violence" est désormais la condition préalable à la paix et à la justice. En clair, la logique de sécurité et de défense prime sur l'idéal de non-violence.
L'EKD légitime ainsi explicitement l'usage de la force militaire, y compris les livraisons d'armes, comme une "ultima ratio" (dernier recours). Plus encore, le document prend soin de rejeter ce qu'il appelle la "non-violence radicale", la reléguant au rang de choix personnel sympathique mais politiquement irresponsable.