Le système politique iranien issu de la révolution islamique est-il en train de vaciller sur ses bases?  par Yves-Marie Adeline

Le système politique iranien issu de la révolution islamique est-il en train de vaciller sur ses bases? par Yves-Marie Adeline


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La révolte prend de l’ampleur en Iran, et pour détourner l’attention, le régime a bombardé deux régions sunnites aux deux extrémités du pays : au nord-ouest, le Kurdistan iranien (1), d’où venait Mahsa Amani (2), et au sud-est le Baloutchistan iranien où, dans la ville côtière de Chabahar, une jeune fille de 15 ans a été violée par le chef de la police locale.

Dans ces deux régions, le soulèvement prend un caractère particulier, puisqu’elles abritent des minorités religieuses, et s’agissant du Kurdistan, une minorité nationale, ce qui explique que des missiles iraniens frappent aujourd’hui les environs d’Erbil dans le Kurdistan irakien servant de base arrière pour les patriotes kurdes combattant le régime des mollahs.

Mais on devine que la République islamique se sert de l’existence de ces minorités et des tensions qui y naissent pour détourner l’attention du peuple à très grande majorité chiite : en vérité, c’est tout le pays qui est secoué par la révolte, un événement qui pourrait prendre une ampleur historique considérable, nous allons tenter de vous expliquer pourquoi. Peut-être pas en un seul article, car il faut commencer par exposer le principe politique de la République islamique inaugurée par Khomeiny en 1979.

Après le renversement du « shah », roi d’Iran

Khomeiny a cohabité avec des chefs politiques de façade, Baní Sadr et Mehdi Bazargan (3), pour endormir la gauche avec laquelle il avait noué une fructueuse « alliance des Rouges et des Noirs » (4), préfiguration du même islamo-gauchisme qui menace l’Europe aujourd’hui. Mais la gauche iranienne fut la dupe de cet accord, car Khomeiny institua un nouveau régime appelé « Velayat-e faqih » : le gouvernement par le savant. À ne pas confondre avec le philosophe-roi de Platon, ici le savant est un savant en religion, l’équivalent du docteur de la Loi dans le judaïsme ancien. La doctrine elle-même avait été élaborée par un autre ayatollah, Hossein Ali Montazeri (mort en 2009) : elle héritait de Mahomet et de ses successeurs, mélangeant le spirituel et le temporel (un mélange particulièrement meurtrier en islam, qui agit en nom et place de son dieu (5), compris comme un dieu de représailles, un dieu de jugement dernier) mais également de la doctrine élaborée par Hassan el Banna, le fondateur égyptien des Frères musulmans – grand-père du fameux Tarik Ramadan (6). Ce rapprochement entre sunnites et chiites peut surprendre, mais il se limite au projet d’un Etat islamique, et son processus a été simple : un disciple d’El Banna, le prédicateur intellectuel Sayid Quteb, dont les nombreux ouvrages ont été édités dans tous les pays musulmans, a inspiré l’iranien Navab Safavi, fondateur des Fédayins (dévôts) de l’islam, une organisation spécialisée dans les assassinats politiques (7).

Velayat-e faqih

Ce régime met en avant un guide suprême élu à vie par un collège de 86 religieux, lesquels ont été eux-mêmes élus au suffrage universel pour 8 ans. Le Guide, entouré de conseillers, ne conduit pas la politique du pays – c’est le président de la République qui s’en charge – mais l’inspire et la censure au besoin. Il est chef des deux armées, l’armée régulière et les Gardiens de la Révolution (Pasdaran), armée parallèle et purement idéologique, comparable à la SS dans l’Allemagne hitlérienne, elle est forte de 130.000 hommes et la cible privilégiée – avec la police – des Iraniens révoltés aujourd’hui : des centaines ont déjà été tués par la population. Le président de la République est élu pour 4 ans, mais peut être destitué par le Guide. Le pouvoir législatif est tenu par le Conseil des gardiens de la Constitution, dont la moitié des membres est nommée par le Guide. Les autorités judiciaires sont largement entre les mains du Guide, qui nomme son chef pour 5 ans, ainsi que le Procureur général et le chef de la Cour de cassation (dite Cour suprême). C’est encore le Guide qui supervise la politique étrangère en présidant le Conseil suprême de sécurité nationale.

Renverser le régime

Tel est le régime qu’une masse populaire (il est trop tôt pour parler d’une masse critique capable de peser d’un poids irrésistible) voudrait renverser. Comme pour les régimes communistes, c’est en fait la situation économique et sociale désastreuse de la population qui aiguillonne la colère de la rue : les Pasdaran eux-mêmes sont sous-payés, après leur journée de service ils sont contraints d’exercer une activité civile : chauffeurs de taxi, peintres en bâtiment, etc. Le pays est le premier exportateur de matière grise, depuis des années des milliers de cadres désertent leur patrie, et la classe moyenne s’appauvrit. Il faut observer désormais trois piliers du régime : l’armée régulière, les Pasdaran et le Bazar, qui s’est plusieurs fois mis en grève pour des raisons sociales, mais, à ce jour, ne s’est pas prononcé sur les événements en cours, tout au plus ferme-t-il à 17 heures pour éviter d’être le théâtre de violences. On observe quelques signes de lassitude dans l’armée régulière qui, avec son service militaire de 21 mois, accueille plus de 400.000 hommes dont les familles peuvent être impliquées dans la rébellion. On comprend donc pourquoi le régime tente de détourner l’attention sur les sunnites au nord-ouest et au sud-est du pays. Par-delà cette diversion, il se contenterait au moins d’une guerre civile opposant les tenants du régime aux rebelles. Mais en dépit de quelques manifestations de soutien artificiellement organisées, montrant complaisamment des femmes tout de noir voilées, quelle partie réelle de la société lui est-elle encore favorable ? Au Qatar voisin, à l’occasion du mondial de football, l’équipe iranienne a ostensiblement refusé d’entonner l’hymne national – « Sois immortelle, sois éternelle, république islamique d’Iran » (8) – au risque de s’exposer, eux et leurs familles, à la répression dès leur retour de l’autre côté du golfe Persique.

Reste à savoir deux choses : si les braves gens, acculés, se décideront à devenir des gens braves, et quels seraient les atouts politiques et culturels de l’Iran pour sortir de l’impasse de la République islamique.

(1) Cf. article précédent du 5/10/2022

(2) Son prénom kurde est Zhina. Elle a été tuée à Téhéran le 16 septembre dernier pour port incorrect de son voile.

(3) L’un et l’autre ayant été formés dans les universités de la République française.

(4) Un article dénonçant cette alliance apparemment contre-nature avait paru le 7 janvier 1978 dans le quotidien Ettela’at (i.e. « Informations ») qui par ailleurs publiait en français La Revue de Téhéran et Le Journal de Téhéran. Cet article déclencha dès le lendemain à Qom la dynamique révolutionnaire, ce qui résonnait comme un aveu.

(5) Cf. article précédent du 4/11/2022

(6) Talentueux cheval de Troie de l’islamisme en Europe, remarqué pour sa proposition d’un « moratoire » sur la lapidation des musulmanes adultères vivant sur le sol européen.

(7) Une station de métro porte son nom à Téhéran.

(8) À comparer avec l’hymne d’avant 1979 : « Que nos terres iraniennes soient éternelles ! ».


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