Beaucoup croient à la fable manichéenne et simpliste d'un Occident en plein décadence qui serait menacé par un "Sud Global" animé par les BRICS, et tout particulièrement par la Russie. Thibault de Varenne conteste et repense cette vision... avec des éléments statistiques objectifs, loin des manipulations qui courent désormais les rues d'une certaine "dissidence".

Depuis des mois, et plus encore depuis l'accélération de la guerre en Ukraine, le débat public s'est cristallisé autour d'une nouvelle grande narration : celle d'un monde qui bascule. D'un côté, un « Occident » perçu comme vieillissant, décadent, empêtré dans ses propres contradictions. De l'autre, un « Sud Global » résilient, dynamique, qui, de l'Inde à l'Arabie Saoudite en passant par le Brésil, refuserait désormais de s'aligner sur un ordre international jugé hypocrite et dominé par l'Ouest.
Ce « Sud Global », dont l'élargissement des BRICS+ est devenu le principal étendard, serait le nouveau pôle d'attraction, le véritable acteur de la reconfiguration mondiale. L'Europe, quant à elle, ne serait plus qu'un « simple terrain de jeu » pour les grandes puissances.

Ce n'est pas du découplage ou du de-risking. C'est du re-routing. L'Occident n'a pas réduit sa dépendance ; il l'a masquée. Pire, il a « allongé les chaînes de valeur », les rendant plus complexes, plus opaques, et donc plus vulnérables, tout en payant le prix fort de l'inflation.
Cette dichotomie est séduisante. Elle a la clarté des grands récits historiques, évidents mais réducteurs, "orientés", tels que nous les décrivions sous la plume d'Emmanuel Todd et de quelques autres. Mais est-elle réaliste? A-t-elle un sens?
Une analyse froide des données, une plongée dans la « trajectoire stratégique cohérente » que dessinent les flux commerciaux mondiaux, révèle une réalité bien plus brutale. Cette réalité est détaillée dans une récente note de la Direction générale du Trésor, qui a eu le mérite de quantifier ce dont tout le monde parle : la fragmentation du monde. Et sa conclusion est sans appel : le narratif du « Sud Global » contre l’« Occident » n'est pas la fracture principale. C'est un mirage qui nous empêche de voir la véritable ligne de faille.
