En ce mois de décembre 2025, alors que la France célèbre la Journée internationale de lutte contre la corruption, l'ambiance n'est pas à la fête dans les couloirs de Bercy ou de la Place Vendôme. Si la communication officielle vante un arsenal législatif "robuste" et un nouveau Plan national 2025-2029, la réalité du terrain, elle, raconte une tout autre histoire : celle d'un État aveugle, fauché et en guerre ouverte contre ses propres vigies citoyennes.

À la lecture du dernier rapport de la Cour des comptes publié ce 9 décembre, une question s'impose, brutale : sommes-nous en train de perdre la bataille de la probité?
L'aveuglement volontaire de l'État
Le constat dressé par les magistrats de la rue Cambon est sans appel, et il tient en une phrase terrible : l'État ne sait pas ce qu'il combat. Le rapport souligne qu'il n'existe toujours pas, en 2025, d'indicateur fiable pour mesurer la prévalence de la corruption en France.

Nous avons bâti une "usine à gaz" institutionnelle – un millefeuille composé de l'AFA (Agence française anticorruption), de la HATVP, du PNF et des juridictions financières – mais ces entités, cloisonnées, peinent à offrir une vision d'ensemble. Le gouvernement pilote à vue, se félicitant du nombre de formations dispensées ou de guides publiés, tout en étant incapable de dire si la corruption recule réellement. Pire, la Cour juge les efforts de détection "insuffisants". En clair : la France attend le scandale médiatique pour agir, plutôt que de nettoyer ses écuries en amont.

Le tournant sécuritaire : l'arbre qui cache la forêt?
Sentant le vent du boulet, le gouvernement a dégainé, en novembre dernier, son Plan national pluriannuel 2025-2029. La nouveauté? Le changement de narratif. Oubliez les costumes cravates et les pots-de-vin dans les marchés publics ; la priorité est désormais la "corruption de basse intensité" liée au narcotrafic.
L'objectif est de "cribler" les agents portuaires, les douaniers et les policiers municipaux pour éviter que les cartels ne s'infiltrent dans les rouages de l'État. C'est une nécessité absolue, certes. Mais ce virage sécuritaire, commode politiquement, ne doit pas faire oublier la corruption en col blanc, celle qui se joue dans les cabinets de conseil, les rétro-pantouflages et les grandes concessions publiques. En focalisant l'attention sur les dockers du Havre, l'exécutif évite opportunément de braquer les projecteurs sur les décideurs.

L'austérité comme complice
Mais comment lutter efficacement quand on assèche les moyens de ceux chargés de contrôler? C'est ici que la rhétorique gouvernementale se fracasse sur le mur de la dette (5,8 % de déficit en 2024).
Prenez la DGCCRF (Répression des fraudes). Ce service est crucial pour surveiller la loyauté des marchés. Or, la Cour des comptes révèle que ses effectifs ont fondu de 25 % en quinze ans. Moins d'agents, c'est mathématiquement plus d'impunité. Même constat pour la "révolution" de la responsabilité des gestionnaires publics (RFGP). Cette réforme, censée faire trembler les ordonnateurs, a accouché d'une souris : seulement 4 déférés en 2023 et 6 au premier semestre 2024. La dissuasion est inexistante.
La guerre contre la société civile
C'est peut-être le point le plus inquiétant pour l'état de notre démocratie. Un gouvernement qui veut lutter contre la corruption devrait chérir les lanceurs d'alerte et les associations. Or, l'exécutif a fait l'inverse.
Le refus de renouveler l'agrément de l'association Anticor fin 2023, décision heureusement annulée par le Tribunal administratif de Paris en avril 2025, restera comme une tache indélébile sur ce quinquennat.En tentant de museler une association capable de se porter partie civile là où les parquets (soumis à la hiérarchie) n'osaient pas aller, le pouvoir a envoyé un message désastreux : "Pas de vagues".
La France décroche
Le résultat de cette politique du "faire semblant" est chiffré. Transparency International, dans son indice publié en février 2025, a classé la France 25ème, avec un recul historique de 4 points. Nous ne sommes plus perçus comme un élève modèle, mais comme une nation qui régresse.
À l'heure où Donald Trump suspend l'application du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) aux États-Unis pour favoriser le business américain, la tentation sera grande pour la France de baisser encore la garde au nom de la "compétitivité". Ce serait une erreur stratégique majeure. La corruption n'est pas un lubrifiant économique, c'est un impôt caché sur les citoyens et un poison pour la confiance.
Alors, le gouvernement lutte-t-il contre la corruption? Il lutte, oui, mais avec une main liée par le manque de budget et l'autre occupée à repousser les contre-pouvoirs. Ce n'est pas de l'efficacité, c'est de la gestion de crise.


