Pour un libertarien, la démocratie n'est pas une fin en soi. C'est, au mieux, le mécanisme le moins imparfait que nous ayons trouvé pour préserver la seule chose qui compte vraiment : la liberté individuelle, garantie par la prééminence du Droit (la Rule of Law).

C'est pourquoi le "spectacle lamentable" auquel nous assistons lors des débats budgétaires français n'est pas une simple anecdote de la vie politique. C'est un symptôme aigu de la maladie que F.A. Hayek a diagnostiquée dans La Route de la Servitude.
Ce désordre n'est pas la preuve d'une démocratie trop "vivante". C'est la preuve d'un "système politique discrédité" et sclérosé, rendu ingouvernable par ceux-là mêmes qui prétendent le gérer : la "Cathédrale" (voir l'article de Thibault de Varenne, de ce jour, sur le sujet).

Car ce chaos est le produit direct de la "technocratie", de ce "gouvernement des experts" qui, par son hubris constructiviste, croit pouvoir planifier la société par le haut. En asphyxiant l'ordre spontané sous un enchevêtrement de règles et d'intérêts bureaucratiques, la Cathédrale crée l'ingouvernabilité même qu'elle prétend ensuite devoir "rationaliser".
Et c'est ici que le piège mortel se referme sur la liberté.

Ce chaos est une aubaine pour deux types d'ennemis de la société ouverte.
D'abord, il alimente le "discours populiste". Les démagogues, de gauche comme de droite, désignent à juste titre le Parlement comme un théâtre d'ombres, mais proposent pour seule solution de remplacer l'arbitraire technocratique par l'arbitraire de la "volonté générale". Ils répondent au chaos par la promesse de la tyrannie de la majorité.
Mais un danger plus insidieux encore se nourrit de ce spectacle. Je veux parler de ces nouveaux philosophes de la "Dark Enlightenment", ces prophètes de la Silicon Valley qui nous vantent les mérites du "Roi-Entrepreneur".
Leur argumentaire est conçu pour ce moment précis. Ils regardent ce "spectacle lamentable" et nous disent : "Voyez, la démocratie est par essence chaotique et inefficace. Votre 'Cathédrale' progressiste détruit la valeur. Abandonnez cette illusion et donnez le pouvoir absolu à un PDG."
Le désordre parlementaire devient leur meilleur argument de vente. Ils proposent de remplacer la bureaucratie sclérosée non pas par la liberté, mais par un despotisme prétendument efficace.
Le vrai péril – l'hybridation que nous voyons poindre – est que le citoyen ordinaire, écœuré par le chaos de la "Cathédrale" et séduit par les sirènes du populisme, finisse par développer un "désir d'autorité". À force de voir l'inefficacité érigée en système, il devient mûr pour accepter n'importe quelle solution autoritaire, pourvu qu'elle promette l'ordre.

Que cette autorité prenne le visage du "Sauveur" populiste ou celui du "Roi-PDG" néo-réactionnaire importe peu. Dans les deux cas, la Rule of Law est la première victime. Les deux représentent la même route vers la servitude : le remplacement des règles stables et impersonnelles de la Loi par la volonté arbitraire d'un maître.
La solution à ce chaos n'est pas un "reboot" autoritaire ni un coup de force populiste. La seule solution est moins d'État, moins de constructivisme, et le retour à un gouvernement strictement limité par le Droit. Tout le reste n'est que le choix de son propre tyran.
