C'est une petite musique qui monte dans les couloirs du Palais Bourbon, et qui pourrait bien se transformer en requiem pour la macronie finissante. Alors que le gouvernement tente désespérément de bricoler un budget de la Sécurité sociale (PLFSS) de compromis, tendant la main à une partie du Parti Socialiste pour éviter l'asphyxie, un homme, un seul, semble décidé à jouer les trouble-fêtes : Édouard Philippe.

L'ancien Premier ministre, drapé dans sa stature d'homme d'État inflexible, menace de donner une consigne de vote négative à ses troupes si l'on touche au dogme sacré du report de l'âge légal de la retraite. Ce faisant, il ne joue pas seulement l'avenir de ce budget : il joue potentiellement la survie du quinquennat.
Voici pourquoi la rigidité doctrinaire du maire du Havre est la nouvelle épée de Damoclès au-dessus de la tête d'Emmanuel Macron.

L'arithmétique implacable de la chute
Il faut revenir à la froide réalité des chiffres, celle que les technocrates de Bercy aiment tant mais que les stratèges de Matignon semblent parfois oublier. Sans les voix des députés du groupe Horizons, la majorité relative n'est plus qu'une minorité absolue, incapable de faire passer le moindre texte d'envergure.
Si Édouard Philippe siffle la fin de la récréation et ordonne à ses députés de voter contre un PLFSS « de compromis » (jugé trop mou sur les retraites), l'arithmétique est sans appel. Le bloc central s'effondre. L'addition des voix NUPES/LFI et RN, couplée à la défection d'Horizons, rend l'adoption du texte mathématiquement impossible par la voie normale. Le gouvernement se retrouverait nu, désavoué par sa propre aile droite.

De l'impasse budgétaire à la crise de régime
Un rejet du PLFSS n'est pas anodin. Ce n'est pas un simple vote perdu sur un amendement technique. C'est le cœur du réacteur de l'État-providence qui cale. Si le budget de la Sécurité sociale est rejeté, le gouvernement n'aura d'autre choix que de dégainer l'arme constitutionnelle ultime, ou de s'exposer à une paralysie totale.
Mais attention : un 49.3 sur un texte rejeté par une partie de la majorité théorique est un suicide politique. Il ouvre grand la porte à une motion de censure. Si les députés Horizons, par cohérence avec leur rejet du texte, ou par calcul cynique, s'abstiennent ou joignent leurs voix aux oppositions lors d'une motion de censure, le gouvernement tombe. Nous ne sommes plus dans la gestion courante, mais dans la crise institutionnelle ouverte.

Le pari du chaos : Philippe en embuscade
Pourquoi Édouard Philippe prendrait-il le risque de faire tomber la maison commune ? C'est ici qu'il faut lire entre les lignes. Pour celui qui se voit déjà en recours suprême pour 2027, le chaos actuel n'est pas un problème, c'est une opportunité.
Édouard Philippe a tout intérêt à ce que la situation devienne ingérable. Une crise institutionnelle majeure, voire une dissolution ratée ou une démission forcée, lui ouvrirait un boulevard. Il pourrait alors surgir des décombres, tel un sauveur de l'ordre, en contrastant sa « rigueur » passée avec le désordre actuel. En politique, le pire est souvent le meilleur allié de ceux qui attendent leur tour. Le « chaos constructif » est une vieille recette que le maire du Havre semble prêt à cuisiner.
2019 : la mémoire d'un sabordage
Il est crucial de rappeler que ce scénario a un précédent. La mémoire politique est courte, mais les faits sont têtus. En 2019, Emmanuel Macron portait une réforme des retraites « systémique » (le fameux système universel par points), qui avait le mérite de la clarté philosophique, à défaut d'être parfaite.
