L'UE veut interdire le gaz russe sur son sol à partir de 2028. Mais elle veut imposer des contraintes morales et environnementales aux autres fournisseurs : le Qatar et les USA. Chronique d'une explosion des prix annoncée.

Il faut poser les questions simplement, car les réponses, dictées par le réel, sont brutales. L’Europe moderne, ivre d’abstraction et soumise à des intérêts qui ne sont pas les siens, semble avoir oublié les lois fondamentales de l'économie et de la géopolitique. Le projet d'interdire le gaz russe d'ici 2028 n'est pas un acte de souveraineté ; c'est un acte de vassalisation envers Washington, doublé d'un fanatisme réglementaire.
Les conséquences de cette double faute sont limpides et terribles : c’est le pays réel – les industries qui produisent, les peuples qui se chauffent – qui paiera la facture de l’incurie du pays légal. Deux questions se posent, dont la réponse dessine le contour de notre appauvrissement futur : cette rupture avec Moscou entraînera-t-elle une hausse des prix ? Et les exigences normatives imposées à nos nouveaux fournisseurs aggraveront-elles cette crise, voire provoqueront-elles la pénurie ?
À ces deux questions, la réalité commande de répondre par une affirmation sans nuance.
La rupture avec la Russie : le coût de l’alignement atlantiste
L'interdiction du gaz russe est, en soi, une aberration économique dictée par une géopolitique d'alignement. Pendant des décennies, l'Europe a bénéficié d'une énergie abondante et stable, acheminée par gazoduc, fruit d'une nécessité géographique. Rompre ce lien n'est pas un acte d'indépendance, c'est un changement de dépendance. L'Europe se place volontairement sous le joug du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) américain et qatari.

Cette substitution a un coût structurel inévitable. Le GNL est, par nature, plus coûteux : il faut le liquéfier, le transporter par mer – sous contrôle anglo-saxon –, puis le regazéifier. C'est une chaîne logistique complexe. Là où le gazoduc offrait prévisibilité et stabilité, le GNL n'offre que spéculation, volatilité et incertitude.
Certains thuriféraires de Bruxelles osent prétendre que le pire est passé. C'est un mensonge d'État. En éliminant délibérément les 15% restants de gaz russe du marché, l'Union européenne réduit l'offre globale et supprime un élément vital de concurrence. Le FMI lui-même avertit qu'un arrêt complet entraînera encore des "prix très élevés".
La réponse est donc claire : oui, en sacrifiant ses approvisionnements russes pour complaire à l'Oncle Sam, l'Union européenne condamne ses consommateurs à payer leur énergie plus cher. C'est le tribut économique de la soumission politique.
L’hubris normative : organiser la pénurie
Mais l'absurdité ne s'arrête pas là. Comme si l'auto-sabotage économique ne suffisait pas, l'Europe a décidé d'y ajouter le suicide réglementaire. Honteuse de sa faiblesse réelle, la technocratie bruxelloise se rêve en législateur universel, imposant ses normes écologiques et morales au reste du monde. Le Règlement sur le méthane et la Directive sur le devoir de vigilance (CSDDD) sont les instruments de cette folie.
L'Europe a un besoin vital de gaz américain et qatari. Pourtant, elle édicte des règles qui rendent cet approvisionnement quasi impossible. C’est ici que l’idéologie écrase le réel de la manière la plus brutale.
Le casse-tête américain : le Règlement sur le méthane exige une traçabilité "au niveau du producteur". Or, le marché américain, dans son chaos libéral fragmenté, est structurellement incapable de fournir une telle donnée. Le gaz y est mutualisé, provenant de milliers de producteurs indépendants. Exiger l'impossible n'est pas de la rigueur, c'est de la sottise. Les Américains eux-mêmes l'avouent : ces règles sont "inapplicables" et pourraient "interrompre le flux de GNL américain vers l'Europe".

La ligne rouge qatari : le Qatar, quant à lui, refuse la CSDDD, qui menace les entreprises de pénalités exorbitantes (5% du chiffre d'affaires mondial) si elles ne se plient pas aux objectifs climatiques de Bruxelles. C'est une ingérence inacceptable. Le ministre qatari a été explicite : si la règle est appliquée, le Qatar détournera ses cargaisons vers l'Asie.
Le résultat de cette double impasse est mathématique. Si le premier fournisseur ne peut pas se conformer et que le deuxième ne veut pas se conformer, l'Europe manquera de gaz.
La conclusion s'impose avec la force de l'évidence : oui, ces exigences de due diligence, fruits d'un juridisme déconnecté des réalités physiques et géopolitiques, vont provoquer une hausse supplémentaire des prix, car la rareté se paie au prix fort. Pire, elles organisent sciemment la pénurie en Europe.
La double peine
L’Europe s’inflige ainsi une double peine. D’abord, elle accepte de payer plus cher une énergie plus volatile en se coupant de la Russie par soumission aux États-Unis. Ensuite, par fanatisme idéologique, elle dresse des barrières normatives qui sabotent ses nouvelles sources d’approvisionnement, garantissant pénurie et explosion des coûts.
Nous assistons à la faillite d'une caste qui a préféré ses abstractions idéologiques à la prospérité de ses peuples. Le consommateur européen n'est pas la victime d'une fatalité extérieure, mais du choix délibéré de ses propres élites. Face à cette trahison du pays réel par le pays légal, le retour au réalisme s'impose. Politique d'abord !
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