En France, on a inventé un nouveau modèle économique : l’État sous-traité à ses assujettis. Depuis quelques années, le secteur privé devient la véritable administration du pays — sans statut, sans retraite garantie, et surtout sans le café syndical de 10h.

À partir de septembre 2026 pour les grandes entreprises, et septembre 2027 pour toutes les autres, les entreprises françaises devront émettre et recevoir leurs factures via un service de facturation électronique certifié par l’État.
Un nouveau miracle numérique au nom d’une promesse triple : simplifier la vie des entreprises, fluidifier les règlements, et lutter contre la fraude.
Une trinité administrative digne du catéchisme de Bercy.
Mais, comme toujours, derrière la sainte mission, il y a le vrai monde : celui où l’État confie sa paperasse à ceux qui produisent encore quelque chose.
Le modèle italien : le Graal du fisc
Les technocrates se justifient avec un argument d’autorité : “Mais regardez l’Italie !”
En effet, la péninsule a généralisé la facture électronique dès 2019. Résultat : la fraude à la TVA s’est effondrée.
Les carrousels à la TVA — ce sport de haut niveau européen — sont devenus presque impossibles.
Selon les estimations, plus de 15 milliards d’euros supplémentaires auraient été collectés.
Et, cerise sur le tiramisu, l’État dispose désormais d’une vision économique quasi instantanée de l’activité des entreprises.
Certains patrons de PME italiennes avouent même être plutôt contents : les délais de paiement ont reculé, les litiges aussi.
Bref, du point de vue du fisc, c’est Byzance.
Du point de vue des entreprises… un peu moins.

Simplifier la vie des entreprises, en la rendant plus compliquée
Pour la PME française moyenne, déjà corsetée de normes, d’audits, de certifications et de “portails obligatoires”, cette nouvelle contrainte ressemble à une mauvaise blague.
Car il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton : il faut payer un logiciel agréé, reconfigurer le back-office, former le personnel, et, souvent, éditer deux versions de la même facture — l’une “officielle” pour l’État, l’autre “commerciale” pour le client qui ne veut pas voir apparaître le détail de ses marges.
Résultat : la “simplification” devient un mille-feuille numérique.
Et pendant que Bercy se félicite de sa “modernisation”, les artisans, restaurateurs, professions libérales, et TPE s’arrachent les cheveux à coups de modules XML et d’identifiants SIRET à 14 chiffres.
C’est la même logique que les caisses certifiées imposées aux commerçants en 2018 : l’État délègue la surveillance, mais pas les moyens.
Chaque obligation nouvelle s’ajoute à la précédente comme une facture oubliée : petites sommes isolées, ruine cumulée.
L’État plateforme… où vous êtes le serveur
Le plus ironique, c’est qu’en automatisant la TVA, les charges sociales, l’impôt sur le revenu, et bientôt la facturation, l’État est en train de faire des entrepreneurs les meilleurs de ses fonctionnaires.
Des fonctionnaires sans garantie d’emploi, sans comité d’entreprise, et avec un seul supérieur hiérarchique : le guichet unique.
D’ici peu, on leur demandera peut-être de passer le CAPES pour former leurs apprentis, le BAFA pour animer les réunions d’équipe, et l’examen d’OPJ pour verbaliser leurs propres retards de déclaration.
Ainsi, toute la fonction publique pourra se consacrer tranquillement à des projets vraiment utiles : comme la réalisation de tours Eiffel en allumettes ignifugées, ou la rédaction d’un nouveau plan d’économie circulaire du papier recyclé.
Le grand ménage chez les comptables
Ce bouleversement numérique n’est pas qu’une question de paperasse. Il secoue aussi tout un pan de l’économie : les cabinets comptables.
Car avec la facture électronique, la saisie manuelle des factures devient obsolète.
Le métier de “petit comptable” — comme celui de clerc de notaire — se dissout dans le code source.
Les gros cabinets se repositionnent déjà :
certains lèvent des fonds pour devenir des plateformes de conseil automatisées, d’autres rachètent des clients comme on achète des parts de marché.
Quant aux petits, ceux qui tenaient la boutique du coin et accompagnaient les artisans au quotidien, ils risquent simplement de disparaître.
C’est la première fois qu’on voit des comptables lever des fonds : il faut croire que la révolution numérique est arrivée jusqu’à leurs tableurs.