
L'esprit français, lorsqu'il daigne s'appliquer aux choses du monde, se doit d'y porter la clarté et la rigueur que lui commande son héritage. Or, que voyons-nous aujourd'hui, lorsque nous tournons nos regards vers les plaines ensanglantées d'Ukraine? Un fracas militaire, certes, mais surtout un vacarme de propagandes où la vérité le cède à l'intérêt des factions, et où l'intérêt de la France est le grand oublié. Se livrer à une analyse indépendante dans ce contexte n'est pas seulement un exercice intellectuel ; c'est un devoir patriotique, une condition première de notre souveraineté.

Car il faut voir clair. La situation militaire en Ukraine est aujourd'hui l'objet d'une double mystification qui paralyse toute pensée politique saine. D'un côté, nous avons la chapelle des atlantistes, ces éternels dévots de la puissance américaine, qui, sous le masque de l'OTAN, nous assurent de la vigueur inextinguible de l'armée ukrainienne. Pour ces esprits soumis, admettre les difficultés de Kiev reviendrait à confesser la faillite de leur politique d'alignement, cette manie de confier le destin de l'Europe à des maîtres d'outre-mer. Ils dissimulent donc les pertes, taisent les faiblesses et peignent en fresque héroïque ce qui n'est qu'une lente et douloureuse agonie, tout cela pour justifier la servitude de la France à un ordre qui n'est pas le sien.
De l'autre côté, se dresse le chœur non moins bruyant des « poutinolâtres ». Ceux-là, saisis d'un mysticisme étrange, ne voient pas en Poutine le chef d'un État qui défend, brutalement mais logiquement, les intérêts russes ; ils voient en lui une sorte de sauveur quasi divin, un rempart magique contre les miasmes du mondialisme et la dissolution des mœurs. Leur attachement n'est pas politique, il est identitaire. Aveuglés par cette foi nouvelle, ils prennent leurs rêves de triomphe pour des réalités, annonçant depuis plus de trois ans une défaite ukrainienne imminente qui ne vient jamais. Leur analyse n'est qu'une prière, leur jugement une prophétie toujours démentie par les faits. Remettre en cause le narratif du Kremlin serait pour eux une apostasie, un reniement de l'icône qu'ils se sont forgée.

Entre ces deux fanatismes, la France s'égare. Elle n'a pourtant rien à gagner à suivre les oracles de Washington, ni à se prosterner devant ceux de Moscou. Son seul guide doit être la réalité des faits, observée avec le froid détachement de l'empirisme organisateur. Ce n'est qu'à ce prix qu'elle pourra définir sa propre politique, une politique fondée sur le seul intérêt national. C'est à cet examen des faits bruts que nous devons maintenant nous livrer.
Les causes objectives du ralentissement russe : leçons d'une guerre d'usure
Contrairement aux fables des deux camps, l'armée russe n'est ni à l'agonie, ni aux portes de la victoire fulgurante. Elle avance, mais avec une lenteur qui trahit de profondes faiblesses structurelles. Ce ralentissement n'est pas une pause tactique, mais la conséquence mécanique de causes objectives qu'il importe d'identifier rigoureusement.
1. L'épuisement de la masse humaine et matérielle
La première cause, et la plus fondamentale, est l'épuisement progressif de l'instrument militaire russe, tant en hommes qu'en matériel. L'échec de la guerre de mouvement initiale, ce « blitzkrieg » manqué de 2022, a contraint Moscou à revenir à sa doctrine la plus archaïque : la guerre d'attrition, le « rouleau compresseur ». Or, cette stratégie, qui mise sur la masse, se heurte aujourd'hui à une double limite.