Ce dont Dimitri Medvedev a parlé avec Xi Jinping – par Guevorg Mirzayan

Ce dont Dimitri Medvedev a parlé avec Xi Jinping – par Guevorg Mirzayan


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Les analystes politiques continuent de discuter de l'un des événements les plus importants de ces derniers jours - une visite soudaine du vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie Dimitri Medvedev en Chine. La solidité des relations entre Moscou et Pékin ne fait aucun doute, mais comment l'opération spéciale menée en Ukraine les affecte-t-elle ? Et qu'a pu dire exactement le président chinois Xi Jinping à Medvedev ?

Les points de vue développés dans cet article, paru sur https://vz.ru/politics/2022/12/23/1192325.html le 23 décembre 2022 n’engagent pas la rédaction du Courrier des Stratèges.

Alors que la presse occidentale s’affairait à discuter de Vladimir Zelensky a l’occasion de sa « séance de mendicité » à Washington, une réunion plus importante se tenait de l’autre côté de la planète. Importante, notamment du point de vue du règlement de la situation en Ukraine. Dmitri Medvedev est arrivé à Pékin pour des entretiens avec Xi Jinping. Dmitri Medvedev est actuellement vice-président du Conseil de sécurité russe et président du parti au pouvoir « Russie unie ». Cependant, il est possible que, du point de vue de l’efficacité de ce voyage, le statut de Medvedev en tant qu’ancien président de la Russie ait été le plus important.

Ici, il convient de comprendre les spécificités de l’Est, où les anciens chefs d’Etat ont presque le même statut que les actuels (s’ils sont issus de la même force politique). Ils sont donc souvent habitués à tenir des réunions extrêmement importantes. L’un des membres de la délégation, le sénateur Andrei Klimov, a ainsi souligné que « les questions abordées n’étaient pas de court terme, mais traitées pour une période au moins de plusieurs années, ce qui est fondamental pour la véritable sécurité et le développement durable de nos deux puissances ».

Mais de quoi les parties ont-elles parlé de si important ?

Le chef de la faction « Russie unie » à la Douma d’État, Vladimir Vasilyev, a mentionné des projets de coopération économique – par exemple, dans le domaine de l’agriculture ou des infrastructures de transport -, mais un ancien président n’est jamais envoyé pour de telles négociations.

En fait, toutes les versions peuvent se résumer à deux points de vue. Le premier, négatif, dont les tenants affirment que Xi, par l’intermédiaire de Medvedev, a exigé que la Russie mette fin d’urgence à l’opération militaire spéciale. Selon Bloomberg, « la Chine veut voir le début des pourparlers sur l’Ukraine ». Le second, positif, exprimant le fait que Moscou et Pékin ont évoqué des projets spécifiques d’assistance de la Chine dans le cadre de l’Opération Militaire Spéciale menée en Ukraine par la Russie. « Il est possible que Poutine demande à la Chine de grandes quantités d’armes, d’équipements militaires, de casques et de gilets pare-balles, quelque chose que l’économie russe ne peut pas produire », a déclaré l’analyste politique russe Sergueï Markov. En outre, Moscou, selon Markov, demande à la Chine « d’ignorer les sanctions américaines et de vendre de la technologie, d’intensifier fortement les relations économiques ». Dans les deux versions, curieusement, il y a à la fois une vérité partielle et une grave exagération.

Un compromis mais pas de défaite pour la Russie

La version sur la pression chinoise est promue par de nombreuses publications étrangères. Même les médias chinois assurent que la Chine a besoin de l’achèvement de l’Opération Militaire Spéciale : le South China Morning Post écrit même que le camarade Xi veut servir de médiateur sur cette question. Le fait est qu’en février, lorsque Poutine et Xi se sont rencontrés à Pékin, les Chinois ont supposé que la durée de l’Opération serait plus courte et avec beaucoup moins de conséquences internationales. Y compris les conséquences pour la Chine elle-même, car après tout, cela détruit ses propres plans stratégiques.

Pour Dimitri Souslov – directeur adjoint du Centre d’études européennes et internationales approfondies de la Higher School of Economics de Moscou – « ce conflit aggrave fortement la confrontation américano-chinoise et augmente la pression américaine sur la Chine. La Chine ne voulait pas cela. Oui, Pékin comprend bien qu’un affrontement avec Washington est inévitable, que la tendance stratégique est à l’augmentation des contradictions, à la lutte et la concurrence. Mais en même temps, les Chinois tentent de ralentir ce processus autant que possible. Ils sont sûrs que le temps est de leur côté et qu’il permet à la Chine de se renforcer. L’OMS russe détruit leurs plans. Dans le paradigme de la politique étrangère américaine, la rivalité avec les grandes puissances s’est fortement aggravée. Et maintenant les États-Unis font déjà pression sur la Chine dans le dossier de Taiwan. La Chine n’aime pas cela, la Chine n’est pas satisfaite de la perturbation de ses programmes à cause de l’OMS russe ».

C’est pourquoi la Chine est intéressée par l’achèvement rapide de l’Opération. Dans ce cas, selon Pékin, la pression américaine sur la Chine diminuera. Mais les Chinois ne veulent pas l’achèvement de l’OMS à tout prix : ils le veulent sans la défaite de la Russie. Et au prix soit de la victoire de la Fédération de Russie (ce qui est préférable pour les Chinois), soit d’un compromis où Moscou ne sera pas perdant.  « Les Chinois comprennent que si Moscou perd cet affrontement, la position géo-économique de la Chine se détériorera fortement. La RPC perçoit la Russie comme un arrière fiable, un fournisseur de ressources énergétiques et un partenaire majeur en politique étrangère. Par conséquent, une défaite russe pour les Chinois n’est même pas un « mauvais » scénario, mais en fait un scénario apocalyptique», précise Dimitri Suslov.

Par conséquent, selon l’expert, la Chine ne fait pas pression sur la Russie, mais lui conseille tout de même de ne pas négliger les opportunités de parvenir à un compromis équitable. Ne pas rechercher uniquement la victoire inconditionnelle, totale et absolue. Et surtout, Pékin ne souhaite pas une escalade du conflit, auquel cas la pression américaine sur la Chine augmenterait fortement.

Face aux contraintes, un accord tacite mais en cachette

Et c’est là que le discours de Medvedev à Pékin sur la modération recoupe le discours de Zelensky à Washington. La partie ukrainienne essaie juste d’obtenir des moyens techniques des Américains (les missiles à longue portée) pour forcer Moscou à l’escalade. Sur la poursuite des hostilités, et pas du tout sur la paix.

Les Chinois comprennent tout cela, et ils sont également conscients de la réticence fondamentale de l’Occident, ou plus encore de l’Ukraine, à des négociations constructives avec Moscou (c’est-à-dire à un compromis qui n’implique pas la défaite de la Russie). Par conséquent, le camarade Xi ne fera pas pression sur Moscou sur cette question : ce n’est pas dans son intérêt.

Il semblerait alors que la Chine devrait s’allier à Moscou dans la stratégie de contraindre l’Ukraine et l’Occident à la paix. C’est-à-dire aider l’armée russe à remporter des victoires sur les champs de bataille (grâce à la fourniture d’armes) et l’économie russe à résister à la pression des sanctions.

En outre, les deux pays ne sont pas seulement des voisins, des partenaires et des compagnons de route. Dimitri Souslov indique ainsi que « la coopération entre la Chine et la Russie est extrêmement importante pour les deux parties. Notre relation est plus qu’une alliance. Nous ne sommes pas obligés de faire la guerre les uns pour les autres, nous ne restreignons pas l’autonomie de la politique étrangère. Mais l’intensité de notre interaction dans le domaine de la politique, de l’économie et des questions militaro-techniques est plus grande que celle des États-Unis avec nombre de ses alliés officiels. Le degré de coordination de notre politiques étrangère est plus élevé et plus étroit. D’ici la fin de cette année, nous atteindrons un chiffre d’affaires commercial de 200 milliards de dollars. La Chine pour la Fédération de Russie est le partenaire n°1 dans tous les sens. Avec l’Inde, elle est le principal investisseur et partenaire en termes de commerce de l’énergie ».

Cependant, il est peu probable que toute cette coopération aboutisse à une assistance chinoise directe à la Russie dans le cadre de l’OMS. Pour la même raison que la Chine veut faire des compromis, elle n’est pas prête maintenant à entrer en conflit avec les États-Unis ni à tomber sous les sanctions imposées à l’Iran. « La Chine n’agira pas à son propre détriment en termes de relations avec la Russie. Pékin ne prendra pas de mesures qui l’exposeraient à des coûts supplémentaires de la part des États-Unis. Par conséquent, la Chine ne violera pas ouvertement les sanctions, ne fournira pas ouvertement à la Fédération de Russie des systèmes d’armes et des équipements militaires qui permettraient à Washington d’augmenter la pression des sanctions sur elle » indique Dimitri Souslov.

On peut toujours critiquer Pékin pour un tel comportement et considérer que la prudence chinoise ne fait que stimuler les dirigeants américains à accroître la pression sur la RPC sur tous les fronts. Malgré tous les risques, Xi Jinping n’est pas encore prêt à abandonner une telle stratégie. D’un autre côté, l’essentiel pour la Russie n’est pas de « jouer aux dames », mais d’avancer. Par conséquent, si Dimitri Medvedev et le camarade Xi – lequel n’a pas besoin de scénarios apocalyptiques frappant la Russie – se sont mis d’accord sur une coopération militaro-technique par le biais de « schémas gris », cela devrait parfaitement convenir à Moscou


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