Le jour où la France a commencé à se disloquer…

Le jour où la France a commencé à se disloquer…


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Sous nos yeux, au troisième jour de confinement, la France a commencé à se disloquer. C'est un mouvement encore imperceptible, et beaucoup de Français ont l'illusion que la situation est encore contrôlable et gérable. Mais subrepticement les cassures se sont produites, et les ferments d'une rupture en profondeur ont mûri jusqu'à rendre celle-ci inévitable. L'opération n'aura duré que quelques heures.

La France a commencé à se disloquer, mais, à Paris, on ne le voit pas encore. En apparence, la ville est calme et sous contrôle.

Mais se disloquer, ça veut dire quoi ?

Dislocare : rompre l’unité d’un ensemble. Personne n’a vu ce jeudi que l’unité française était rompue. Pour l’instant, le mouvement est imperceptible. Mais la douleur sera puissante lorsqu’un geste trop brusque révélera cette rupture qui s’est produite aujourd’hui.

On en trouvera les racines dans une faillite morale : la société telle que les élites l’organisent et la contrôlent est rejetée de façon pour ainsi convulsive par le peuple. Ce n’est pas nouveau : le doute était dans les esprits depuis longtemps. Face à l’épreuve, il produit ses effets et nous ne tarderons pas à les ressentir.

Ainsi, lundi soir, Emmanuel Macron a parlé pendant vingt minutes pour expliquer qu’il fallait se confiner mais continuer à travailler. Son fameux « en même temps » n’a guère convaincu, et depuis ce discours la colère gronde, froide et sourde. S’il faut se confiner, c’est bien qu’il y a danger. Et s’il y a danger, selon quel principe moral décrète-t-on que certains en sont prémunis, et que d’autres s’y exposent ?

Dans la pratique, les cols blancs font du télétravail, et les cols bleus continuent à se rendre à l’atelier ou à l’usine. Il fallait être fou pour imaginer qu’une telle distinction passerait comme une lettre à la poste. La désunion française est trop marquée pour convaincre certains de se sacrifier pour les autres.

Imperceptiblement, le pays s’arrête

Alors, sans le dire, les cols bleus refusent les ordres. Peu à peu, les usines, les ateliers ferment, faute de combattants pour les faire tourner. Et le bel ordonnancement promis par le gouvernement, avec son approvisionnement assuré, le pays qui continuerait à fonctionner comme avant, est désormais en sursis. Combien de jours tiendrons-nous ?

Les pénuries sont annoncées. Pour l’instant, on épuise les stocks. Mais ils peineront à être renouvelés : non seulement certaines denrées sont bloquées aux frontières, mais très vite les emballages même manqueront, faute d’usines en capacité de les fabriquer. On me dit que des ouvriers font des crises de nerfs ou d’angoisse sur leur lieu de travail par peur d’être contaminés. Alors on fait quoi ? On leur envoie les gendarmes ?

Partout, des maillons de la chaîne productive ont éclaté, suscitant une vraie panique au sein du gouvernement. Macron a encore enjoint aux Français d’aller travailler, après leur avoir expliqué le contraire il y a trois jours. Ce jeune homme des beaux quartiers n’est décidément pas fait pour commander en temps de guerre.

L’angoisse des financiers avant l’orage

Aujourd’hui j’ai fait le tour de plusieurs assureurs. Je leur ai demandé comment ils appréhendaient les semaines à venir. Les dirigeants esquivent, contournent la question, réservent leurs réponses. En bas de l’échelle, les gens sont plus loquaces. Plus une affaire ne se fait. Les vendeurs d’assurance sont payés pour boucler les dossiers en cours, et n’ont plus de programme pour la suite.

La vraie question est de savoir qui paiera ses primes à la fin du mois ? J’entends que certaines grandes compagnies ont six semaines de trésorerie pour tenir. Trop de défauts de paiement en mettra plusieurs en difficulté.

La CNP a pris soin de communiquer urbi et orbi sur sa solvabilité. Cette précaution est suspecte. La grande peur, je la connais : c’est celle d’un rachat massif de portefeuilles d’assurance-vie. Les assureurs n’ont pas assez de liquidités pour rembourser tout le monde, surtout si la panique se fait chez les clients. Les assureurs sentent bien que le scénario noir n’est pas à exclure dans les jours qui viennent.

Ce faisant, beaucoup d’assureurs renâclent à payer les prestations. Ici, on me dit qu’il fallut insister fortement pour qu’un grand assureur de la place paie les trois mois de salaire qu’il devait à un client au titre d’un contrat de prévoyance. Là, les patrons demandent la mise en oeuvre de la clause de perte d’exploitation, et les assureurs refusent. Les litiges sont remontés à Bercy.

Selon toute vraisemblance, Bercy demandera aux assureurs de plier. Mais ce n’est que reculer pour mieux sauter. La situation risque de se tendre dangereusement. Je pronostique des nationalisations massives en mai pour éviter des faillites systémiques.

Bonheur face à la fin d’un monde

Beaucoup de gens sont angoissés. J’entends ceux qui ont peur d’attraper le virus et dont la gorge se noue à l’idée qu’ils pourraient mourir étouffés en quelques heures si cela arrivait. J’entends ceux qui craignent le chômage et la misère dans les semaines à venir. J’entends ceux qui sont coupés dans leurs projets, avec peu d’argent d’avance et une certitude désormais chevillée au corps : ce qu’on espérait il y a encore deux semaines est désormais à mettre au rebut.

Beaucoup compensent leur angoisse par du désir, de l’envie de vivre, du carpe diem, et déjà de l’érotisme. Anne D. qui a contracté le virus et s’en sort sans avoir consulté de médecin découvre les plaisirs de la vie. Sans cette fin d’un monde honni, elle n’aurait pas osé. Mais de nombreux autres amis commencent à frétiller, exaspérés par l’ennui que produit le confinement.

Et puis il y a ceux, dont je fais partie, que l’effondrement réjoui. Mon ami Michel Maffesoli me propose ce matin un texte en ce sens. La fin d’un monde n’est pas la fin du monde.

Je n’en pouvais plus de cette coterie médiocre obsédée par le ridicule qui verrouillait le pouvoir, assurant le triomphe de la bêtise et de la platitude. Ceux-là ont massivement fui Paris à l’approche du confinement. Ils nous donneront des leçons de morale à leur retour, s’ils reviennent un jour. Des leçons de courage et de patience, des leçons d’obéissance, eux qui n’ont obéi à rien, et qui n’affrontent jamais rien. Ils seront balayés par l’histoire.

Nous avons bien conscience que dix ans de désordre arrivent, dix ans de mue, de métamorphose. C’est la douleur nécessaire, l’épreuve inévitable à passer pour que ce pays se relève, comme il l’a fait si souvent.

Mais j’anticipe beaucoup. Pour l’instant, nous assistons à sa décomposition, à la lente prise de conscience que les pieds d’argile sur lesquels le colosse repose prennent l’eau, et qu’ils n’en ont plus pour longtemps.

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