La Cour de cassation belge a jugé mercredi 22 octobre qu'une plainte pénale déposée par le lobbyiste Baldan, proche de France Soir, contre la présidente de la Commission européenne était irrecevable, mettant fin à trois ans de procédure. Cela signifie-t-il que la justice belge protège von der Leyen ?

Le contexte général débute au printemps 2021, lorsque l'Union européenne négocie son troisième contrat avec Pfizer/BioNTech. Il s'agit du plus important de tous, portant sur 1,8 milliard de doses pour un montant estimé à plusieurs dizaines de milliards d'euros.
- Le contournement des procédures : contrairement aux contrats précédents négociés par des équipes conjointes (Commission et États membres), les négociations préliminaires décisives de ce méga-contrat ont été menées directement par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
- Les SMS révélés : en avril 2021, le New York Times révèle que ces négociations se sont déroulées en partie via des échanges directs (appels et SMS) entre Mme von der Leyen et Albert Bourla, PDG de Pfizer.
- La disparition des messages : lorsque des journalistes demandent l'accès à ces SMS en vertu des règles européennes de transparence, la Commission affirme ne pas les avoir retrouvés, les qualifiant de documents "éphémères" non soumis à l'archivage.
Cette disparition de documents clés concernant l'utilisation massive d'argent public constitue le cœur du scandale.
La réaction des organes de contrôle européens (2022)
L'opacité de la Commission a déclenché de vives critiques de la part des institutions de surveillance de l'UE :
- La médiatrice européenne : Emily O'Reilly a mené une enquête et conclu à une "mauvaise administration" de la part de la Commission. Elle a rappelé que c'est le contenu qui définit un document officiel, pas son support (SMS ou email).
- La Cour des Comptes européenne : voulant auditer la procédure de passation de ce contrat, les auditeurs se sont vus refuser l'accès à toute information concernant les négociations préliminaires menées par la présidente.

La multiplication des fronts judiciaires
Face au refus persistant de la Commission, l'affaire s'est déplacée sur le terrain judiciaire, via plusieurs voies distinctes.
Front 1 : la transparence administrative (niveau européen) Le New York Times a attaqué la Commission (en tant qu'institution) devant le Tribunal de l'Union européenne début 2023 pour violation des règles d'accès aux documents. Cette procédure est toujours en cours.
Front 2 : le front pénal national (niveau belge) En avril 2023, Frédéric Baldan, un lobbyiste belge, a déposé une plainte pénale avec constitution de partie civile à Liège.
- L'objet de la plainte : M. Baldan accusait personnellement Ursula von der Leyen d'infractions graves : "usurpation de fonctions et de titre", "destruction de documents publics", et "prise illégale d’intérêts et corruption". D'autres plaignants, y compris certains États membres (comme la Hongrie et la Pologne, bien que cette dernière se soit retirée après son changement de gouvernement), s'étaient joints à cette initiative.
- La décision : la Cour de cassation (la plus haute juridiction belge) a mis fin à cette procédure.
Front 3 : le front pénal européen (l'enquête de l'EPPO) Dès octobre 2022, le Parquet européen (EPPO) a annoncé avoir ouvert une enquête sur l'acquisition des vaccins dans l'UE. L'EPPO a la compétence pour enquêter sur les affaires portant atteinte aux intérêts financiers de l'UE. Cette enquête est considérée comme la menace judiciaire la plus sérieuse et elle est toujours en cours.
Portée et limites de la décision belge
Il est crucial de comprendre ce que cette décision signifie et ce qu'elle ne signifie pas.
- Une victoire procédurale pour Von der Leyen : la menace d'une enquête pénale émanant de la justice belge est définitivement écartée. Ces décisions sont généralement motivées par des questions de compétence ou d'immunité : les juridictions nationales sont souvent jugées incompétentes pour enquêter sur des actes commis par de hauts fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions européennes.
- Ce n'est PAS une exonération sur le fond : la justice belge n'a pas jugé si la gestion des SMS était correcte ou si les négociations étaient régulières. Elle a simplement clos le dossier pour des raisons de forme, considérant que Frédéric Baldan n'avait pas été victime d'un préjudice personnel dans ce dossier et qu'il n'avait donc pas intérêt à agir.
- L'affaire n'est PAS terminée : la clôture de la voie nationale n'a aucun impact sur les critiques institutionnelles (médiatrice, Cour des comptes) ni sur les procédures en cours au niveau européen (le recours du NYT et, surtout, l'enquête de l'EPPO).
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