Shein au BHV et aux Galeries Lafayette : halte à l'hypocrisie !

Shein au BHV et aux Galeries Lafayette : halte à l'hypocrisie !


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L'arrivée de Shein aux Galeries Lafayette et au BHV soulève la même querelle que les dévôts face au Tartuffe de Molière. Est-il si honteux de rendre la mode accessible à un peuple exsangue de taxes et de mépris social ?

Il aura donc suffi qu'un grand magasin parisien, le BHV Marais, ose accorder quelques mètres carrés à l'ogre chinois Shein pour que la capitale s'étrangle dans un hoquet de vertu outragée. "Inacceptable!", s'est exclamé Emmanuel Grégoire, candidat socialiste à la Mairie de Paris, bientôt rejoint par le chœur des commerçants bien établis et des gardiens du temple de la mode française, tous unis dans une panique morale aussi prévisible que suspecte. Cette tempête dans un verre d'eau germanopratin serait presque comique si elle ne révélait pas une fracture béante, un snobisme délirant et une hypocrisie crasse de la part d'une élite déconnectée de la France qui travaille et qui compte ses sous.

Car pendant que Paris s'offusque, des dizaines de millions de Français, eux, cliquent. Pour eux, Shein n'est pas un débat de conscience, c'est une solution. Une solution pour habiller leurs enfants, pour se sentir à la mode sans faire exploser un budget déjà étranglé par l'inflation, pour participer, tout simplement, à la société de consommation. La croisade anti-Shein n'est pas une défense de la planète ou des droits de l'Homme. C'est une manœuvre de diversion, une guerre économique déguisée en sermon écologique, menée par des acteurs qui ont tout à perdre de la concurrence et tout à cacher de leurs propres turpitudes. Il est temps de crever l'abcès.

L'hypocrisie en bande organisée

Le procès en sorcellerie intenté à Shein est d'une malhonnêteté intellectuelle confondante. Oui, les conditions de travail chez certains de ses fournisseurs laissent à désirer, avec des semaines de 75 heures documentées par des enquêtes. Oui, son modèle pousse à la consommation. Mais qui sont les procureurs? Les mêmes qui, depuis trente ans, ont bâti leur fortune sur un modèle identique.

Regardons les faits. Zara, fleuron du groupe Inditex, a été épinglé pour des "conditions proches de l'esclavage" dans des usines au Brésil et pour ses liens troubles avec le travail forcé des Ouïghours en Chine. Decathlon, l'enseigne préférée des familles françaises et grande absente de la loi "anti-fast fashion", a été qualifiée de "championne de l'exploitation" par une enquête de Disclose, révélant travail d'enfants et recours à des sous-traitants profitant du labeur forcé des Ouïghours. Primark, dont le succès repose sur des prix encore plus bas, ne possède aucune usine et externalise toute sa production en Asie, exactement comme Shein. Kiabi, autre protégé de la République, s'approvisionne massivement en Chine et au Bangladesh.

La liste est longue. Tous ces parangons de vertu, qui aujourd'hui crient au loup chinois, ont délocalisé leur production dans les mêmes régions du monde, souvent chez les mêmes fournisseurs, pour compresser les coûts et maximiser les marges. Leur indignation est sélective. Ils ne dénoncent pas un système ; ils dénoncent un concurrent qui a perfectionné ce système au point de les rendre obsolètes. Shein n'est pas une anomalie monstrueuse dans un monde de la mode vertueux. Il est le miroir grossissant de leurs propres péchés. En le diabolisant, ils espèrent nous faire oublier qu'ils sont nés du même péché originel.

Le véritable péché : innover

Car le vrai crime de Shein, aux yeux de ses concurrents, n'est pas éthique. Il est technologique. L'entreprise chinoise n'a pas seulement copié un modèle, elle l'a transcendé. Elle a inventé le "Real-Time Retail", un système qui ringardise la fast fashion traditionnelle. Là où Zara et H&M parient sur des collections des mois à l'avance, produisant en masse au risque de l'invendu, Shein a inversé la logique.

Grâce à une utilisation massive de l'intelligence artificielle et des données, Shein détecte les micro-tendances en temps réel. Elle ne lance alors que des micro-séries de 100 à 200 pièces. Si un modèle plaît, la production est instantanément relancée via une chaîne d'approvisionnement entièrement numérisée qui connecte des milliers de petits ateliers. Si c'est un flop, la production s'arrête. Le cycle, de l'idée au client, prend dix jours. Ce modèle, "demand-driven", est l'antithèse de la surproduction massive qui caractérise l'industrie classique.

Face à cette rupture, que propose l'industrie textile française? Rien. Ou plutôt, si : des lamentations. Le secteur a perdu deux tiers de ses emplois en vingt ans. La France importe 97% de ce qu'elle consomme. Incapable d'innover, de se moderniser, de rivaliser sur le marché de masse, l'industrie française s'est réfugiée dans le luxe et les textiles techniques, abandonnant des millions de consommateurs.

On nous vante le "Made in France" comme alternative. Quelle plaisanterie ! Avec un prix moyen de 122€ pour un vêtement, un jean à 129€ et une robe de créateur à 570€, le "Made in France" n'est pas une solution, c'est un marqueur social. C'est une option pour ceux qui peuvent se le permettre, et une leçon de morale pour les autres. La charge contre Shein est le cri d'une industrie qui a raté le train de l'innovation et qui, au lieu de courir pour le rattraper, préfère supplier le législateur de faire dérailler la locomotive.

La loi comme arme de guerre économique

 Et le législateur, docile, s'exécute. La loi dite "anti-fast fashion" est un chef-d'œuvre de protectionnisme déguisé. Sous couvert d'écologie, elle a été taillée sur mesure pour abattre un concurrent désigné. Son critère principal ? Le "nombre élevé de nouvelles références". Un critère absurde qui cible directement le modèle de micro-séries de Shein, tout en épargnant soigneusement les géants européens qui produisent des volumes colossaux mais sous forme de "collections". L'intention est à peine voilée. Une sénatrice l'a avoué sans fard : "il n'est pas question d'impacter nos entreprises françaises et européennes". Le chauvinisme économique se drape dans la vertu écologique.

L'arme principale de cette loi est un "malus" qui pourra atteindre 10€ par article d'ici 2030. Pour un t-shirt à 8€, c'est une augmentation de 125%. Qui va payer ? Pas les cadres parisiens qui achètent leurs vêtements "Made in France", mais les familles, les étudiants, les classes populaires et moyennes pour qui chaque euro compte. Une étude YouGov le montre : les clients de Shein sont majoritairement des femmes, des parents, des CSP-, pour qui le prix est le critère d'achat numéro un (82%). Cette loi n'est pas une taxe sur la pollution, c'est une taxe sur la précarité. C'est une punition infligée aux consommateurs les plus modestes pour les protéger d'eux-mêmes et de leurs mauvais choix.

Pour parachever le tout, la loi instaure une interdiction totale de la publicité, y compris pour les influenceurs, sous peine d'amendes colossales. L'objectif n'est pas d'informer, mais d'asphyxier. De rendre Shein invisible pour le couper de sa clientèle. Cette censure économique, juridiquement fragile et soumise au bon vouloir de la Commission Européenne, est l'aveu final : puisqu'on ne peut pas rivaliser, interdisons.

Pour la liberté de choisir

La véritable "honte nationale" n'est pas l'arrivée de Shein au BHV. La honte, c'est cette alliance de l'establishment économique et politique qui, par snobisme et par peur de la concurrence, instrumentalise l'écologie pour mener une guerre commerciale sur le dos des consommateurs. La honte, c'est ce mépris de classe envers ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir une "consommation responsable" à 200€ la robe.

Défendre le droit de Shein à exister sur notre marché, ce n'est pas être un suppôt du capitalisme sauvage. C'est refuser l'hypocrisie. C'est exiger que les mêmes règles s'appliquent à tous, y compris à nos champions nationaux et européens. C'est défendre la liberté du consommateur, et surtout du consommateur modeste, de choisir comment il s'habille. C'est croire en la concurrence comme aiguillon de l'innovation, plutôt qu'en la protection comme refuge de la médiocrité. La question n'est pas de savoir s'il faut aimer Shein. La question est de savoir si nous acceptons qu'une caste décide pour nous ce que nous avons le droit d'acheter.


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