Madagascar : la refondation confisquée par les élites-un Premier ministre pour rassurer les bailleurs, pas le peuple

La nomination d’Herintsalama Rajaonarivelo au poste de Premier ministre malgache suscite déjà des critiques. Si le nouveau président, colonel Michaël Randrianirina vante un profil économique et rassurant, l’opinion publique s’inquiète d’un système où les intérêts privés dictent encore la politique nationale.

Herintsalama Rajaonarivelo nouveau Premier ministre ( à gauche) en compagnie de Siteny Randrianasoloniaiko, nouveau président de l'Assemblée nationale ( à droite)

À Madagascar, les transitions politiques s’enchaînent mais se ressemblent : l’espoir renaît, puis le doute s’installe. La désignation d’Herintsalama Rajaonarivelo, banquier et homme d’affaires respecté, au poste de Premier ministre, le 20 octobre dernier, devait symboliser la stabilité et la compétence. Pourtant, à peine nommé, le nouveau chef du gouvernement fait déjà face à la défiance des jeunes manifestants et de la société civile, qui redoutent une reconduction du système d’entre-soi politico-économique.

Un technocrate à la tête du gouvernement : la carte de la respectabilité internationale

Sur proposition des parlementaires, le colonel-président Michaël Randrianirina a choisi un profil économique, conscient que les bailleurs de fonds internationaux guettent la moindre faille de gouvernance. Ancien président de la Fivmpama et du Groupement des entreprises malgaches, Rajaonarivelo connaît les circuits financiers et les codes du secteur privé.

Ce choix vise à rassurer les institutions financières et à redonner confiance à un marché en panne d’investissements. Le Premier ministre, fort de son réseau dans les grandes entreprises comme BNI Madagascar ou Madarail, incarne ce que le régime présente comme une « technocratie de transition ».

Mais derrière la façade de compétence, certains y voient la mainmise du capital privé sur l’État, un phénomène bien connu dans la politique malgache.

L'opacité des liens "Public-Privé" : la menace du capitalisme de connexion

Les premières critiques viennent de là où le pouvoir espérait le plus d’adhésion : la jeunesse. La Génération Z, mobilisée derrière le discours de “refondation de la République”, dénonce une nomination “hors sol”, décidée dans les salons dorés du Palais présidentiel sans consultation citoyenne.

Les critiques de la Génération Z et d'autres mouvements citoyens, déplorant la « proximité avec des hommes d'affaires devenus figures politiques, dans un système où la frontière entre l'État et les intérêts privés n'existe plus », sont parfaitement fondées.

La présence de M. Rajaonarivelo aux côtés de figures controversées au sein de conseils d'administration (avec Mamy Ravatomanga, proche richissime du président déchu) révèle le cœur du mal malgache : le capitalisme de connexion.

Dans ce système, la réussite économique dépend moins de l'innovation et de la concurrence que de l'accès aux décideurs, aux contrats publics, et aux régulations favorables. Nommer un tel profil à la tête de l'exécutif ne fait que consolider ce modèle, où le rôle principal de l'État n'est pas de garantir un marché libre et équitable pour tous, mais d'arbitrer les faveurs pour quelques-uns. Cela étouffe l'esprit d'entreprise authentique et perpétue une oligarchie politico-économique.

Entre rigueur affichée et soupçons persistants

Pour calmer les critiques, Rajaonarivelo a lancé une série de mesures spectaculaires :

  • inventaire général des biens publics,
  • gel des dépenses non alimentaires,
  • interdiction temporaire de sortie du territoire pour les hauts responsables,
  • promesse de poursuites pour les détournements de fonds publics.

Sur le papier, ces décisions tracent la ligne d’un Premier ministre décidé à imposer la rigueur et la transparence. Mais le scepticisme domine : comment croire à une "tolérance zéro" quand on a soi-même côtoyé les figures les plus controversées du système précédent, de Mamy Ravatomanga à Andry Rajoelina ?

Cette posture d’austérité ressemble davantage à une stratégie de communication qu’à une rupture idéologique. Car à Madagascar, la lutte contre la corruption est souvent proclamée, rarement appliquée.

Le cas Rajaonarivelo illustre à merveille le paradoxe malgache : une quête de modernité entravée par le poids des réseaux. Entre un président militaire prônant la refondation et un Premier ministre issu du sérail économique, Madagascar rejoue le scénario de la continuité sous un autre nom.

Cette nomination confirme un constat amer : l’État malgache ne se réforme pas, il se recycle.