Les libertariens face à Poutine et à George Soros….

Plusieurs lecteurs nous ont interrogé sur le "sérieux" qu'il peut y avoir à se réclamer du libertarisme tout en étant "pro-Poutine" (ce que nous ne sommes pas). Il nous paraissait indispensable de répondre à ces interrogations légitimes en précisant, point par point, la ligne éditoriale du Courrier sur ces sujets d'actualité. Le lecteur trouvera ici une synthèse des analyses qui nous guident en arrière-fond pour dissiper tout malentendu.

Le libertarisme, et les libertariens, sont forcément interrogés par les récentes évolutions du monde, en particulier par la stratégie de découplage suivie secrètement par les USA depuis deux ans, et plus encore par la guerre en Ukraine. Avec une efficacité redoutable, la propagande occidentale est parvenue à « embarquer » une large partie de l’opinion dans le récit puéril selon lequel la guerre en Ukraine serait le résultat d’un combat entre le mal (le méchant Poutine) et les gentils Ukrainiens, victimes innocentes.
Nous proposons, pour notre part, un récit moins puéril et surtout une autre analyse du monde contemporain. L’espace manque pour en donner une vision détaillée. Les lecteurs nous pardonneront, j’espère, le schématisme des lignes qui suivent, mais… c’est pour la bonne cause.
Société ouverte et ordre spontané…
Une grande partie du paradigme libertarien repose sur le principe de la société ouverte telle que Karl Popper l’a décrite dans son ouvrage éponyme. Ce paradigme est indissociable du concept d’ordre spontané de la société défendu par Hayek dans la Route de la Servitude.
Dans le principe, ces deux grandes figures autrichiennes de la pensée contemporaine, tous deux émigrés à Londres pour échapper au nazisme, prônaient une société débarrassée de ses vieux réflexes « verticaux » et autoritaires, dont la règle collective était le principal instrument de domination. Le retour à l’individu était la condition essentielle pour mettre en échec le totalitarisme quel que soit son degré de maturité ou d’intensité.
Dans l’esprit de Popper, « l’ennemi » de la société ouverte, c’était la tradition. Il fallait débarrasser les sociétés occidentales de leurs vieux réflexes identitaires pour les rendre démocratiques.
L’influence de Popper sur Soros et la caste
Soros fut l’élève de Popper à Londres, après qu’il avait fui la Hongrie en 1947 pour échapper au communisme. Cet intérêt universitaire de Soros pour la philosophie de Popper n’a pas duré longtemps, mais a conduit celui qui est devenu, par la suite, milliardaire, à créer une fondation désormais bien connue… l’Open Society Foundation.
Le seul nom de la fondation suffit à souligner le lien étroit entre la pensée de Popper et les objectifs de Soros. La visée fondamentale de ce dernier est d’organiser « par le haut » l’instauration d’une société ouverte, en tuant les identités traditionnelles européennes.
On connaît les opérations qu’il finance : vagues migratoires artificiellement provoquées, discours woke, décolonial, intersectionnel, et autres balivernes qui nous submergent aujourd’hui. Une étude de ces mouvements montrerait par ailleurs que Soros est loin d’être le seul milliardaire américain ou transnational à financer ces opérations de subversion.
L’ordre spontané confisqué par la caste
Les raisons pour lesquelles l’hyper-capital américain finance ces mouvements ne relèvent évidemment pas de la seule spéculation philosophique. Les théories libertariennes ne sont ici que le prétexte à la création d’un grand marché mondial débarrassé des frontières, et même des gouvernements nationaux.
On comprend peu à peu que la société ouverte est devenue le cheval de Troie de la mondialisation, de son idéologie, et des intérêts propres à la caste qui l’endosse. On n’ouvre pas une société pour la rendre libre, pour en faciliter l’ordre spontané. On l’ouvre pour qu’elle achète toujours plus de produits américains ou mondialisés (des hamburgers Mc Donald, des téléphones Apple, des voitures électriques Tesla, des vaccins cotés à New York), et pour qu’elle dispose toujours moins d’autonomie dans la production de ses propres biens.
D’une certaine façon, la société ouverte est devenue le prétexte à une immense violence contre l’ordre spontané des sociétés occidentales, à commencer par les sociétés européennes, une violence très verticale exercée par les détenteurs de l’hyper-capital américain et de leurs obligés européens, pour changer de force notre mode de vie, nos valeurs, nos « mentalités ».
Société ouverte contre ordre spontané
Pour formuler ces constats autrement, je dirais que l’hyper-capital financier a récupéré la théorie de la société ouverte pour combattre l’ordre spontané de l’Occident. Le grand thème libertarien d’une société sans ordre vertical est devenu le synonyme du contraire : une société où une caste sans identité, sans origine, sans culture, fait feu de tout bois pour exproprier par tous les moyens possibles les patrimoines qui lui échappent encore.
Sur ce point, nous avons tous à nous positionner sur un seul choix : adhérons-nous, oui ou non, à ce projet oligarchique déployé par la caste, ou bien souhaitons-nous préserver nos ordres spontanés qui, il est vrai, sont un mélange intime de valeurs démocratiques et de traditions identitaires, si intime qu’on peine parfois à démêler les deux ?
Voulons-nous vivre dans une grande famille universelle pilotée par quelques puissances financières auto-proclamées protectrices de la planète et de l’espèce humaine ? Ou bien voulons-nous préserver nos cultures et notre identité ?
Cette question simple. D’elle découle l’ensemble des choix politiques que nous pouvons opérer, et qui se ramènent tous à l’adhésion ou non à un schéma « vertical », à un modèle de société fondé sur le gouvernement d’une élite richissime et désormais fâchée avec les Droits de l’Homme et les libertés.
Les libertariens face au « narratif » ukrainien
Cette remise dans le contexte de notre époque conduit à relire les événements en Ukraine.
Depuis la disparition du Rideau de fer, le Deep State américain et la caste qui le supporte (et en vit) ne cessent de vitupérer contre les Rogue States qui résistent à leur ambition de domination hégémonique grâce au multilatéralisme. Depuis quelques années, la résistance des Rogue States, à commencer par la Russie, a nourri l’option d’un nouveau découplage du monde : d’un côté, l’Occident, qui vivrait en autarcie sous la conduite étroite des Etats-Unis, de l’autre un bloc sino-soviétique qui disposerait à terme de son propre système monétaire et de son propre Internet.
L’épisode du COVID a permis de mettre ce scénario sur les rails, en sidérant l’opinion occidentale, et tout particulièrement européenne, et en posant les bases d’une société de la surveillance.
Mais une étape indispensable au découplage restait à franchir : le retour d’un rideau de fer en Europe, d’une sorte de nouveau Yalta, délimitant l’influence américaine et l’influence sino-russe. La guerre en Ukraine en donne l’occasion.
L’origine de cette guerre n’est pas le sujet de ce papier. On saluera toutefois l’efficacité de la propagande occidentale qui est parvenue à crédibiliser l’histoire d’un conflit moral du bien contre le mal… ce qui relève de l’exploit quand on connaît le poids des oligarques mafieux sur l’économie ukrainienne.
Dans la pratique, l’Ukraine pourrait constituer un nouvel Afghanistan pour la Russie. C’est en tout cas l’objectif de la CIA : affaiblir l’empire russe, comme les mouvements de guérilla ont, en leur temps, affaibli l’URSS.
Peut-on encore être libertarien et pro-américain ?
Beaucoup de libertariens (et de libéraux au sens large) partent du principe que leur affiliation idéologique les condamne à aimer les Etats-Unis, et à défendre leur politique aveuglément, surtout lorsqu’elle concerne la lutte contre la Russie, encore assimilée à un temple du communisme par certains. Je peux comprendre ce point de vue, mais je voudrais expliquer pourquoi je ne le partage absolument pas.
Premier point : ce que nous aimons aux Etats-Unis, ce qui fonde notre attachement à cette grande nation, c’est le contraire du visage qu’elle offre aujourd’hui. L’Amérique meurt de son capitalisme de connivence, qui rime avec grandes fortunes rapides mais éphémères, bâties dans l’ombre du gouvernement profond. Il me semble que les libertariens ont un vrai droit d’inventaire vis-à-vis des actions perpétrées par une puissance qui est devenue tout sauf libérale.
Deuxième point : tout libertarien se doit de défendre l’ordre spontané de la société à laquelle il appartient. Et force est de constater aujourd’hui que le projet impérial américain constitue, pour lui, une menace bien plus grande que l’armée russe.
Ne pas suivre les USA, est-ce aimer Poutine ?
La grande force de la propagande occidentale est d’avoir convaincu de nombreux libertariens ou libéraux que toute forme de scepticisme vis-à-vis des rodomontades américaines constituait une manifestation de soutien à la Russie. Cette habileté a déjà fonctionné à plein dans l’affaire du vaccin, où toute prévention contre les effets secondaires de ce produit prétendument miraculeux est accusée de soutien à l’obscurantisme anti-vaccinal.
Pour ma part, je n’ai pas d’amitié pour Vladimir Poutine. Ses méthodes autoritaires ne me conviennent pas, et je ne rêve pas de vivre en Russie. Mais je n’ai pas plus d’amitié pour Zélensky, pas plus que je ne rêve de vivre en Ukraine.
J’ai une conviction profonde : cette guerre ne concerne pas l’Europe, et l’Europe n’a rien à gagner à la faire.
Je n’aime pas Poutine, mais je ne crois pas un seul instant qu’il rêve d’envahir l’Europe, ni qu’il imagine achever le travail commencé par Staline en 1945.
Je n’ai sur ces questions aucun affect moral. Je fais les choix conformes à mes intérêts fondamentaux : ma liberté et ma survie. Cette liberté, cette survie, ne consistent certainement pas à mourir pour Zelensky.
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