L’abstention est-elle le début de la sécession, par Ulrike Reisner

Les migrations, la mondialisation et le communautarisme qui se développent en Europe sapent la participation classique, notamment aux élections qui touchent de moins en moins de personnes. Les tentatives des États nationaux et de l’UE pour enrayer le phénomène échouent toutes. Pourtant, la baisse de la participation met en danger l’ensemble de la communauté.

Actuellement les sociétés européennes prennent beaucoup de risques. Elles mettent surtout en jeu leurs droits et leurs libertés, pour lesquels leurs ancêtres ont lutté depuis le siècle des Lumières. Qu’est devenu l’animal politique, comme Aristote désignait autrefois l’homme dans la société ? Pourquoi assiste-t-il à la mise en œuvre de mesures drastiques par ses dirigeants, limitant ainsi ses droits fondamentaux ? Pourquoi reste-t-il inactif lorsqu’on porte atteinte à ses droits de propriété, lorsqu’on l’exproprie insidieusement ? Pourquoi se tait-il lorsque les règles du jeu démocratique sont ignorées, lorsque les principes de l’État de droit sont bafoués ?
Où est-il passé, le citoyen autrefois si fier, le citoyen privilégié du Contrat social de Jean Jacques Rousseau ? Pourquoi renonce-t-il à ses privilèges de citoyen de l’État, de citoyen du monde, pourquoi foule-t-il aux pieds son attribut le plus précieux, l’idée de liberté absolue, et se laisse-t-il rabaisser au rang de « sujet » ?
Le désintérêt est-il la seule raison de la faible participation ?
Notre recherche des causes s’articule autour de trois points : la participation, la démocratie et l’État de droit, qui feront chacun l’objet d’un article. Après m’être exprimée sur les formes non conventionnelles (non constituées) de la participation politique, c’est-à-dire la résistance politique, nous nous pencherons aujourd’hui sur les formes conventionnelles (constituées, garanties par la loi et réglementées), dont tout d’abord la participation aux élections et aux votations. La participation aux élections – et donc la sélection des dirigeants politiques – aux différents niveaux constitue l’élément central du rôle de citoyen et la forme de participation la plus simple et la plus égalitaire du système représentatif.
Mais attendons ! N’est-ce pas précisément cette forme de participation qui est vouée à disparaître ? Éric Verhaeghe n’a-t-il pas récemment décrit la crise de la démocratie représentative ? [1] Une fois de plus, le taux de participation des Français aux élections législatives n’a pas été fameux, à l’instar des élections régionales en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où le taux de participation a été le plus bas depuis 1950 (55,5%).[2] Mi-juin, les électeurs italiens ont fait échouer un référendum sur les modifications du système judiciaire : seuls 20,9 % des électeurs ont voté, soit le taux de participation le plus faible jamais enregistré lors d’un référendum en Italie, et bien en dessous du seuil de 50 % requis pour que le résultat soit valable.[3] Cette liste peut être poursuivie à volonté.
Mais, non, nous ne voulons pas tant nous occuper aujourd’hui du désenchantement politique, qui existe sans aucun doute à travers l’Europe. Ce désenchantement politique est à la fois la cause et le résultat d’une crise de la démocratie représentative. Ce qui nous intéresse davantage, c’est de savoir quels groupes de la société ne peuvent plus du tout être atteints par cette forme de participation.
Des millions de personnes ne votent pas, pourquoi ?
Prenons l’exemple des deux plus grandes économies de l’UE, la France et l’Allemagne. En France, sur une population totale d’à peu près 67 millions d’habitants, la proportion d’adultes est d’environ 54 millions (données 2019[4]). En Allemagne, ils étaient 83,2 millions au total fin 2020, dont près de 70 millions d’adultes.[5]
Pour avoir le droit de vote dans les pays européens, il faut être citoyen du pays en question.[6] Selon l’article 3 de la Constitution française, sont électeurs, dans les conditions prévues par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et civiques.
En Allemagne, 61,2 millions de citoyens étaient inscrits sur les listes électorales pour les élections législatives de 2021[7], avec un taux de participation de 76,6%[8]. En France, 48,7 millions de citoyens étaient inscrits pour les élections présidentielles de 2022[9], avec un taux de participation moyen de 64% à deux tours. [10] Selon ces chiffres, 14,3 millions de personnes en Allemagne et 17,5 millions en France n’ont manifestement pas voté.
On peut douter que le désintérêt pour la politique puisse à lui seul expliquer l’absence aux urnes. Qu’en est-il des citoyens qui ont le droit de vote, mais qui n’ont pas la permission de voter ? Les détenus par exemple, ou les personnes qui ont une procédure judiciaire en cours ? Ou ceux qui ont le droit de vote mais ne peuvent pas voter ? Les personnes nécessitant des soins et les personnes hospitalisées, par exemple, ou les personnes souffrant de problèmes psychiques ?
Lorsqu’Éric Verhaeghe évoque la prévalence de l’illettrisme au moment de l’instauration de la démocratie représentative moderne, nous devons nous rappeler qu’aujourd’hui en France, 2,5 millions de personnes, soit 7 % de la population âgée de 18 à 65 ans, sont en situation d’illettrisme.[11] En Allemagne, environ 6,2 millions d’adultes ne savent pas lire et écrire correctement.[12]
Cela serait déjà remarquable en soi, mais on ne peut pas en déduire que 10 % des électeurs allemands ne savent pas lire et écrire correctement. En effet, les groupes qui ne sont pas autorisés à voter parce qu’ils n’ont pas la citoyenneté requise sont aujourd’hui bien plus nombreux.
Des mondes parallèles à l’écart du droit de vote ?
En 2021, 23,7 millions de ressortissants de pays tiers vivaient dans les États membres de l’UE, soit 5,3 % de la population de l’UE. En outre, 13,7 millions de personnes ayant la nationalité d’un autre État membre de l’UE vivaient dans l’un des États membres de l’UE. En chiffres absolus, le plus grand nombre d’étrangers vivant dans les États membres de l’UE se trouvait en Allemagne (10,6 millions de personnes), en Espagne (5,4 millions), en France et en Italie (5,2 millions chacun). La population étrangère vivant en France représentait 7,7 % de la population totale. [13][14]. Si nous considérons qu’environ un tiers de ces personnes ne sont pas adultes (les sources statistiques sont assez rares), nous pouvons constater que plus de 20 millions d’adultes ne participent pas à la vie politique en Allemagne et en France (j’ai additionné ici ceux qui n’ont pas le droit de voter et ceux qui ne sont pas allés voter récemment).
Il serait également faux de croire que la majorité de ces personnes sont politiquement indifférentes ou se soumettent docilement. En témoignent les débats passionnés sur l’intégration, les sociétés parallèles ou le droit de la charia. Là encore, il existe des parallèles intéressants entre les États européens concernés, où l’on s’efforce, dans les milieux politiques et médiatiques, d’assurer que la jurisprudence de l’islam n’entrera pas dans la juridiction de l’État.[15] D’innombrables exemples prouvent que ce n’est pas le cas. En Allemagne, par exemple, les femmes iraniennes doivent encore aujourd’hui présenter à l’état civil un certificat de consentement au mariage du père. Cela remonte à la convention d’établissement germano-iranienne de 1929, dont la validité pour la République fédérale d’Allemagne a été confirmée le 4 novembre 1954. [16]
Mais nous pouvons aller encore plus loin : le droit international privé, qui est appliqué dans les différents États européens, s’occupe de la question de savoir quel ordre juridique national doit être appliqué à une situation juridique qui présente des liens avec les ordres juridiques de plusieurs États. En l’occurrence, c’est surtout dans le droit matrimonial et familial, mais aussi dans le droit successoral, que la pratique est vécue depuis des années : partout où il existe des liens de rattachement et où il n’y a pas de violation de l’ordre public [17], le droit de la charia doit bien entendu être appliqué.
Le manque de participation met la communauté en danger !
Nous voyons donc que, ne serait-ce qu’en raison de la migration, de la mondialisation et de la propension communautariste encouragée par l’Union européenne, la participation classique sous forme d’élections n’est plus adaptée à notre époque et touche de moins en moins de personnes. Nous voyons également que les tentatives, tant des États-nations que de l’UE, de remédier à ces dysfonctionnements sont en demi-teinte, voire impuissantes. La « réforme » des élections au Parlement européen consisterait en 28 députés supplémentaires, un vote par correspondance dans tous les États membres et des quotas pour garantir l’égalité des sexes.[18] Je trouve cette approche embarrassante, pour ne pas dire agaçante.
Si j’ai écrit au début que les sociétés européennes prennent actuellement beaucoup de risques, rappelons pour finir la fable d’Agrippa : en 494 av. J.-C., celui-ci a été envoyé par le Sénat sur le Mont Sacré (ou Aventin), où les plébéiens s’étaient réfugiés lors d’une révolte. Comme Agrippa avait le devoir de rétablir la concorde entre patriciens et plébéiens, il a utilisé le fameux apologue des membres et de l’estomac, par lequel il a tenté de prouver que la cité ne peut exister sans les plébéiens, mais qu’en même temps, les plébéiens ne peuvent pas vivre sans la cité :
« Les membres du corps humain, voyant que l’estomac restait oisif, séparèrent leur cause de la sienne, et lui refusèrent leur office. Mais cette conspiration les fit bientôt tomber eux-mêmes en langueur ; ils comprirent alors que l’estomac distribuait à chacun d’eux la nourriture qu’il avait reçue, et rentrèrent en grâce avec lui. Ainsi le sénat et le peuple, qui sont comme un seul corps, périssent par la désunion, et vivent pleins de force par la concorde. »
Quel est le lien entre la crise de la participation et la fable d’Agrippa ? D’un point de vue global, tous les êtres humains vivent dans des États plus ou moins organisés et « constitués », qui forcent leurs citoyens à respecter leurs obligations et les soumettent au système juridique de l’État. La participation signifie que ces personnes devraient pouvoir participer de manière aliquote. D’un point de vue historique, cela correspond entre autres à l’idée du contrat social : tout ordre social qui fonctionne est précédé d’un large accord entre tous les citoyens sur le fait que l’ordre commun est l’ordre qu’ils souhaitent. Ce contrat nécessite la participation.
P.S. : ce qu’Agrippa ne pouvait toutefois pas savoir, mais qui doit nous préoccuper d’autant plus : si la technostructure prend de plus en plus en charge la gestion des sociétés et que notre participation se limite à utiliser leurs applications, nous aurons définitivement perdu nos droits de citoyens.
[1] https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/06/13/cet-obscur-chemin-que-le-rejet-de-la-caste-trace-vers-la-democratie-liquide/
[2] https://www1.wdr.de/nachrichten/landespolitik/landtagswahl-2022/nrw-wahl-wahlbeteiligung-100.html
[3] https://www.reuters.com/world/europe/referendum-flop-italys-salvini-right-eyes-local-gains-2022-06-13/
[4] https://www.insee.fr/en/statistiques/2382597?sommaire=2382613
[5] https://de.statista.com/statistik/daten/studie/1365/umfrage/bevoelkerung-deutschlands-nach-altersgruppen/
[6] Lors des élections locales, les ressortissants de l’UE peuvent voter dans n’importe quel pays de l’UE.
[7] https://de.statista.com/statistik/daten/studie/3936/umfrage/wahlberechtigte-fuer-die-bundestagswahl-im-jahr-2009/
[8] https://de.statista.com/statistik/daten/studie/2274/umfrage/entwicklung-der-wahlbeteiligung-bei-bundestagswahlen-seit-1949/
[9] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6322895
[10] https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actu-du-ministere/election-presidentielle-2022-taux-de-participation-a-12h-et-17h
[11] https://www.ouest-france.fr/education/2-5-millions-de-personnes-souffrent-d-illettrisme-en-france-c2c00590-0f21-11ec-9a44-75f6deb9d765
[12] https://www.handelsblatt.com/politik/deutschland/lese-und-schreibschwaeche-studie-6-2-millionen-de-facto-analphabeten-in-deutschland/24311850.html
[13] https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-eurostat-news/-/ddn-20220330-2
[14] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212
[15] https://www.thelocal.fr/20220414/it-will-divide-the-country-french-muslims-fears-over-a-le-pen-presidency/
[16] https://www.dw.com/de/iranerinnen-scharia-und-deutsches-standesamt/a-61663943
[17] Par ordre public, on entend en droit international privé et en droit international public ce qui est fondamental dans les valeurs nationales
[18] https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20220429IPR28242/meps-begin-revising-rules-on-eu-elections-calling-for-pan-european-constituency
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