Emmanuel Macron a récemment réaffirmé sa volonté d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de 15 ou 16 ans. L’objectif affiché est la protection des enfants face aux effets délétères des plateformes numériques : addiction, anxiété, harcèlement, exposition à des contenus violents ou sexualisés. Le raisonnement est désormais bien rodé, politiquement vendeur, et largement repris par une partie de la classe politique, à droite comme à gauche.

profonde, et infiniment plus politique : pourquoi maintenant ? Et surtout : pourquoi cette solution-là ?
Car si l’on prend un minimum de recul historique, cette proposition soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Pourquoi maintenant ? Une question que personne ne pose
La télévision a longtemps été accusée d’abrutir les enfants.
Dès les années 1970, des chercheurs alertaient sur ses effets cognitifs, sur la passivité qu’elle induisait, sur la violence des images, sur la publicité ciblée. Dans les années 1990, les débats faisaient rage sur l’hypersexualisation des programmes et l’influence néfaste des chaînes privées.
Et pourtant jamais personne n’a sérieusement proposé d’interdire la télévision aux moins de 16 ans.

Même constat pour les jeux vidéo.
Depuis trente ans, ils sont accusés de provoquer addiction, désocialisation, comportements violents, décrochage scolaire. Les polémiques se sont succédé, les études contradictoires aussi. Pourtant, là encore, aucune interdiction générale. Tout au plus des classifications d’âge, des recommandations, et une responsabilisation assumée des parents.
Pourquoi cette retenue hier, et cette précipitation aujourd’hui ?
La réponse est simple, et elle n’est pas morale : elle est technologique voire totalitaire.
On n’interdit pas ce qui est le plus nocif, mais ce qui est le plus contrôlable
La grande différence entre la télévision, les jeux vidéo et les réseaux sociaux n’est pas leur dangerosité intrinsèque.
Elle réside dans un fait brut : les réseaux sociaux sont techniquement contrôlables.
Ils nécessitent un compte.
Un identifiant.
Une date de naissance.
Et désormais, potentiellement, une vérification d’âge.
Autrement dit : on ne cherche pas à interdire ce qui serait objectivement le plus dangereux pour les enfants, mais ce qui peut être verrouillé par une infrastructure technique.
Ce glissement est fondamental.
Il marque le passage d’une logique de protection à une logique de contrôle. Un contrôle qui s’étend, « par nécessité », aux adultes.
Et une société libre ne se définit pas par ce qu’elle est capable d’interdire, mais par ce qu’elle choisit de ne pas contrôler, même quand elle le pourrait.
Le précédent australien : laboratoire ou avertissement ?
Les promoteurs de l’interdiction citent volontiers l’Australie, qui a récemment adopté une loi interdisant l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans. Le mécanisme est clair : ce ne sont pas les mineurs qui sont sanctionnés, mais les plateformes, sommées de mettre en place des dispositifs efficaces de vérification d’âge.
Sur le papier, la solution paraît élégante.
Dans la réalité, elle ouvre une boîte de Pandore.
Pour empêcher un mineur d’accéder à un service, il faut vérifier l’âge de tous les utilisateurs. Même si l’on promet des systèmes “respectueux de la vie privée”, on crée de facto une infrastructure d’identification numérique généralisée, ou à tout le moins une infrastructure d’estimation et de certification d’âge.
Ce n’est pas un détail technique.
C’est un changement de nature du rapport entre l’individu, l’État et l’espace numérique.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, en Australie, la loi fait déjà l’objet de contestations judiciaires, notamment au nom de la liberté de communication politique. Dès sa mise en œuvre, elle a généré des tensions juridiques, des effets de contournement, et des inquiétudes sur l’extension future de ces mécanismes à d’autres usages.
L’histoire récente montre qu’une infrastructure de contrôle, une fois créée, ne disparaît jamais. Elle change simplement d’usage.


