Michel Onfray, fort de son aura circonstancielle, publie un livre sur la philosophie antique. Mais peut-il vraiment se targuer d'une vision légitime, sur un point où il ne semble connaître que la loi du plus fort ?

Depuis le 7 octobre 2023, une voix domine le fracas intellectuel français, celle de Michel Onfray. Plus qu’un commentateur, le philosophe s’est érigé en interprète quasi-officiel du drame qui se joue entre Israël et Gaza, appliquant à l’actualité la plus brûlante la grille de lecture qu’il forge depuis des décennies. Ses interventions, d’une cohérence redoutable, dessinent les contours d’une pensée qui utilise le conflit comme le miroir tragique de ses thèses sur le déclin de l’Occident, la faillite de la gauche et l’urgence d’un sursaut civilisationnel. Au cœur de cette rhétorique se niche une formule paradoxale, une provocation dont il a le secret : se définir comme « sioniste propalestinien ». Loin d’être une simple boutade, cette affirmation est la clé de voûte d’un édifice intellectuel complexe. Car pour Onfray, la guerre de Gaza n’est pas un conflit lointain ; c’est une bataille pour l’âme de la France.
Le choc des civilisations comme seule grille de lecture
Pour comprendre Onfray, il faut d’abord abandonner les outils classiques de la géopolitique et embrasser une vision du monde plus radicale : celle du « Choc des civilisations » de Samuel Huntington. Le philosophe ne s’en cache pas, il revendique cet héritage et affirme que les événements du 7 octobre ne l’ont absolument pas surpris. Pour lui, le conflit n’est pas politique, il est civilisationnel. D’un côté, la « civilisation » ; de l’autre, la « barbarie ». Ce cadrage binaire et absolu lui permet d’évacuer d’emblée toute nuance. La lutte n’est plus affaire de frontières ou de résolutions onusiennes, mais de survie.
Pour matérialiser ce choc, sa rhétorique est saisissante. Il oppose sans cesse la masse démographique et géographique des 57 pays musulmans – près de deux milliards d’individus – à la fragilité existentielle d’Israël, ce « tout petit point d’aiguille » de 22 000 km². Dans cette fresque huntingtonienne, Israël n’est pas un simple État. Il est le « navire amiral » de l’Occident, son avant-poste face à un monde hostile.

Plus encore, Israël est un modèle. C’est une civilisation qui « dure parce qu’elle se protège », qui « s’aime, qui s’apprécie, et qui estime ne pas avoir à faire de génuflexions ». En creux, se dessine le portrait d’une Europe honteuse d’elle-même, une France qui « se déteste ». L’admiration d’Onfray pour la vigueur israélienne est en réalité une critique féroce de la décadence occidentale. Israël incarne la souveraineté, la fierté identitaire et la volonté de se battre que l’Europe, engluée dans le post-nationalisme et le multiculturalisme, aurait reniées. Ainsi, défendre Israël, ce n’est pas tant défendre l’État hébreu que défendre une version idéalisée de l’Occident, un Occident qui aurait le courage de nommer ses ennemis et de les combattre.
L’« islamo-gauchisme », avatar moderne de l’antisémitisme
L’ennemi, pour Onfray, n’est pas seulement extérieur. Il est aussi intérieur, et il a un nom : l’« islamo-gauchisme ». Le philosophe soutient que le sentiment anti-israélien en France est le produit d’une alliance contre-nature entre une gauche radicale en mal de prolétariat et un islamisme politique qui lui fournirait une nouvelle force révolutionnaire pour abattre le capitalisme.