Dans la tête de Donald Trump: ce que révèle l’entretien entre Witkoff et Carlson

Dans la tête de Donald Trump: ce que révèle l’entretien entre Witkoff et Carlson

Nous avons fourni à nos lecteurs l’intégralité de l’entretien entre Steve Witkoff et Tucker Carlson car il permet une extraordinaire plongée dans la façon d’appréhender le monde de Donald Trump et de ses proches. Il est rare qu’un dirigeant ou son représentant se livre à ce point. Profitons-en pour identifier les points-clé de l’entretien. J’ai retenu (1) Il n’y aura de « Palestine » que désarmée. (2) L’administration Trump rêve d’une communauté des Etats du Golfe et de l’Est méditerranéen qui remplacerait, comme partenaire économique, une Europe en décrépitude. (3) Dans l’esprit de l’administration trump, l’Europe appartient au passé – elle est « morte »! (4) Il vaut mieux être une puissance nucléaire pour être respecté par l’administration Trump. (5) Les Etats-Unis de Trump cherchent un vrai partenariat avec la Russie.

On a entendu beaucoup de ricanements et de manifestations du « symptôme de dérangement anti-trumpien » depuis la diffusion depuis la publication de l’entretien entre Steve Witkoff et Tucker Carlson. Il a même été question, un temps de bannir l’entretien de You Tube!

Le paradoxe vient, naturellement, de ce qu’il y a certainement beaucoup à critiquer dans l’entretien! Mais nous vivons dans un monde où la passion l’a emporté sur la raison quand il s’agit de parler politique. Alors que la politique doit être le lieu d’où l’on bannit passions, émotions, idéologies, croyances religieuses, pour traiter rationnellement de la paix civile et internationale, nous assistons, depuis la chute du Mur de Berlin, à des déferlements passionnels successifs en Occident.

Un des aspects intéressant de l’entretien vient de la conscience qu’ont les deux interlocuteurs d’avoir, avec Donald Trump, surmonté, une véritable chasse aux sorcières. Witkoff évoque par exemple les heures sombres où, lui, le juriste de formation, est venu apporter soutien à son ami, ancien président, en campagne pour être réélu, et trainé devant les tribunaux. C’est ce qu’il ne faut jamais oublier quand on évalue la seconde présidence Trump: elle a été gagnée contre l’aile globaliste de l’Etat profond, qui était prête à tout pour empêcher Trump de revenir à la Maison Blanche.

Cela n’empêche pas la critique, bien entendu.

Les deux tiers de l’entretien sont consacrés au Proche-Orient

Un premier trait frappant de l’entretien: les deux tiers sont consacrés au Proche-Orient. En effet, dans la seconde partie, après avoir parlé de la Russie, les deux hommes reviennent à la question de l’Iran.

On pourrait dire que c’est disproportionné. Mais cela tient aux préjugés de la politique américaine au Proche-Orient, dont Witkoff ne sort pas, malgré ses efforts d’analyse.

Il essaie de restituer le point de vue du Hamas mais n’a jamais brisé le tabou de vouloir rencontrer directement ses négociateurs.

Witkoff insiste sur les coups portés à « l’Axe de la Résistance » en tuant leurs chefs (en particulier Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah) mais il ne se demande jamais si le rapport des forces n’est pas plus complexe que celui qui résulte apparemment de ces « coups » spectaculaires.

Il avoue avoir été horrifié par le film qu’on lui a montré sur le 7 octobre, se vante d’être allé sur le terrain à Gaza. Mais il n’a visiblement pas poussé l’empathie jusqu’à rencontrer des Palestiniens sur place.

Les Palestiniens n’ont pas le droit de résister!

Le leitmotiv de Witkoff, c’est le nécessaire désarmement du Hamas. Visiblement, Donald Trump et son conseiller ont renoncé à déplacer la population de Gaza; mais ils veulent Gaza sans combattants! C’est-à-dire que Donald Trump n’a pas vraiment évolué depuis son premier mandat, où la Palestine était passée par pertes et profits du grand règlement au Proche-Orient.

Quand Carlson l’interroge sur un « Etat palestiniens », Witkoff esquive, parlant du développement économique des territoires palestiniens. Quand il s’agit d’expliquer la rupture du cessez-le-feu, le négociateur la justifie… par le fait que le Hamas refuse d’être désarmé.

On est donc dans un curieux mélange de soutien à Netanyahu  – et d’aveuglement face au génocide ! – et d’exploration d’une autre voie, celle de la création d’un espace économique reliant les pays arabes du Golfe, Israël, l’Egypte et la Jordanie,  le Liban et la Syrie, pour une alternative à l’Union européenne en décrépitude.

Mais de souveraineté palestinienne, il n’est jamais question! Il ne peut pas en être question.

Le mépris pour l’Europe

C’est, pour moi l’un des aspects les plus intéressants de l’entretien. Witkoff, comme Carlson, parlent avec un grand mépris de l’Europe – y compris la Grande-Bretagne. Pour eux, elle appartient au passé. Elle a raté un tournant technologique, en particulier.

C’est finalement l’Ukraine qui s’en tire le mieux, vantée pour son courage face à la Russie. Mais la France, l’Allemagne, l’Italie, ne sont même pas mentionnées! Juste les noms de Macron, de Starmer, et l’existence de l’OTAN.

C’est une attitude générale de l’administration Trump. On l’apprend par exemple dans la « fausse fuite » où le rédacteur en chef du magazine The Atlantic  affirme avoir été inclus par erreur dans un groupe de travail du gouvernement américain juste avant l’attaque contre les Houthis:

Re: the Signal chat and The Atlantic article.

The minute I read the chat my very first thought was that Goldberg was specifically and deliberately included so that he would leak what he saw to the public. The idea was to let Europe know just how unhappy American leadership is… pic.twitter.com/Ex2aQOhXS2

— Cynical Publius (@CynicalPublius) March 24, 2025

Les principaux responsables de la politique de défense américaine se plaignent ouvertement que l’Europe n’en fasse pas assez contre les Houthis!

Pour être pris au sérieux par Trump, il faut être une puissance nucléaire

Le thème de l’arme nucléaire est présent tout au long de l’entretien. Tucker Carlson explique qu’il est allé interviewer Poutine, en 2024, par peur d’une escalade nucléaire. Le risque d’un recours à l’arme nucléaire tactique par la Russie est évoqué plusieurs fois.

Quand il s’agit d’Israël, la comparaison qui vient à Witkoff est de dire: il n’est pas question que l’Iran acquière l’arme nucléaire comme la Corée du nord l’a fait. Et l’on comprend que la faiblesse de l’Iran, c’est qu’il n’ait pas encore la bombe nucléaire….Evidemment, en creux, le sujet de la bombe atomique israélienne n’est jamais traité. Mais on comprend bien que les deux pays respectés par Witkoff dans les négociations qu’il mène sont les deux puissances nucléaires: Israël et la Russie.

Cela nous dit au passage la carte que la France pourrait jouer…..

Vers un accord avec la Russie?

Si l’on est méchant, on soulignera que Witkoff n’arrive pas à citer, au-delà de la Crimée, l’intégralité des oblasts annexés par la Russie. Il y a encore du travail….Mais remarquons comme il est volontariste quand il parle d’arriver à un accord avec la Russie.

Il est question d’aller beaucoup plus loin que la paix en Ukraine. Le négociateur ouvre la perspective de coopérations entre les USA et la Russie en Arctique ou pour livrer de l’énergie à l’Europe – c’est-à-dire une reprise américaine de Nordstream….

On se demandera aussi ce qu’il faut croire: le Trump menaçant vis-à-vis de l’Iran? Ou celui qui serait prêt, selon Witkoff, à travailler avec la Russie pour résoudre la question du contrôle du « nucléaire iranien »?

En tout cas, on s’amusera, pour finir, en rependant à l’anecdote de Poutine faisant faire par un peintre russe un portrait de Donald Trump, qu’il a demandé à Witkoff d’offrir à Trump de sa part! On espère que les services américains ne l’abimeront pas en vérifiant l’éventuelle présence d’un micro caché dans le tableau….