Il flotte ces jours-ci dans les couloirs feutrés du Palais Bourbon un parfum étrange, mélange d'effervescence et de panique. Ce n'est pas l'odeur habituelle de la routine parlementaire, ce ballet bien réglé où chacun joue son rôle sans trop y croire. Non, c'est l'odeur du réel qui s'invite dans le théâtre d'ombres. Pour la première fois depuis des lustres, l'Assemblée nationale travaille. Vraiment. Les bancs sont garnis, les amendements défendus avec vigueur, et le budget 2026 avance à la vitesse d'un escargot neurasthénique.

La raison de ce chaos inattendu ? Un cadeau empoisonné offert par le Premier ministre, Sébastien Lecornu. Le 3 octobre dernier, dans un élan de superbe ou de naïveté – l'histoire jugera –, il a annoncé la fin d'une époque. Le gouvernement, dans sa grande mansuétude, renonçait à l'arme nucléaire constitutionnelle : l'article 49.3. « Nous proposerons, nous débattrons, vous voterez », avait-il claironné, convaincu sans doute de s'inscrire dans les pas de Mendès France. Las ! Il a surtout ouvert la boîte de Pandore de l'ingouvernabilité française.
Bienvenue dans la farce tragique du budget "sans 49.3", où la redécouverte de la démocratie parlementaire vire au psychodrame budgétaire, et où la lenteur n'est pas un accident, mais le symptôme d'un régime qui ne sait plus comment fonctionner sans bâillonner ses élus.

L'anesthésiant constitutionnel et le confort de l'irresponsabilité
Pour comprendre le blocage actuel, il faut saisir ce qu'était le budget sous l'empire du 49.3. C'était une cérémonie codifiée, une liturgie républicaine où l'hypocrisie le disputait à l'inefficacité. Pendant des années, singulièrement depuis la perte de la majorité absolue, le scénario fut immuable. Les oppositions, de la gauche radicale à la droite conservatrice, déposaient des milliers d'amendements. C'était la phase de la posture : on promettait la lune, on détaxait à tout-va pour sa clientèle, on inventait de nouvelles subventions, on créait de nouveaux impôts confiscatoires pour les "riches". Des milliards d'euros virtuels étaient dépensés ou supprimés dans une surenchère démagogique jubilatoire.
Pourquoi cette débauche ? Parce que tout le monde savait pertinemment que cela n'avait aucune importance. Au bout de quelques jours de ce cirque, le gouvernement dégainait le 49.3. D'un trait de plume technocratique, l'exécutif effaçait le tableau. Le texte adopté n'était pas celui issu des débats, mais celui concocté dans les bureaux climatisés de Bercy, purgé de toutes les scories parlementaires.

C'était d'un confort absolu pour tout le monde. Le gouvernement avait son budget, conforme à la vision des énarques et aux exigences de Bruxelles. Les oppositions, elles, pouvaient retourner dans leurs circonscriptions la tête haute : elles s'étaient battues, elles avaient proposé des alternatives généreuses, mais le "méchant gouvernement autoritaire" les avait censurées. C'était la déresponsabilisation généralisée, érigée en système de gouvernement. La Cinquième République, dans sa version macroniste puis post-macroniste, ne fonctionnait qu'à condition de neutraliser le Parlement. Le 49.3 n'était pas une option de crise ; c'était le mode de gouvernement par défaut d'un régime incapable de construire une majorité.
Le Gambit Lecornu : quand le réel fait irruption
En renonçant au 49.3, Sébastien Lecornu a brisé ce pacte tacite d'irresponsabilité. Il a cru, peut-être, que la "raison" finirait par l'emporter, que les députés, mis face à leurs responsabilités budgétaires, se comporteraient en gestionnaires avisés. C'est méconnaître profondément la psychologie de l'élu français, sevré depuis trop longtemps au jeu de rôle sans conséquence.